Chapitre 17
Le matin se leva avec lenteur, comme s’il savait qu’il n’était plus attendu. Les cigales, fatiguées d’avoir tant chanté, s’étaient tues. La lumière sur les murs avait changé. Moins dorée, plus blanche. Ce n’était pas encore l’automne, mais l’été commençait à se détacher doucement des corps et des heures.
Nora ouvrit les volets de la chambre du haut. Le ciel était pur, sans une ombre, mais l’air portait un soupçon d’adieu. Dans la cour, Léa pliait un drap avec une attention presque solennelle, comme si elle savait qu’en repliant ce linge, elle tournait aussi une page. Yasmine dessinait en silence, le visage marqué par la fatigue tendre des départs à venir. Madame Salama avait préparé un dernier pain au thym sauvage, en murmurant une chanson de son enfance, en arabe, sans la traduire cette fois.
Nora descendit l’escalier pieds nus, carnet en main. Elle s’était réveillée avec une phrase claire en tête :
« Rien ne s’efface, tout se transforme. »
Elle la griffonna à l’encre noire, sans trembler.
Autour de la table en bois, les femmes s’étaient réunies sans se concerter. Les tasses de café fumaient, diffusant la chaleureuse odeur de l’arabica. Les silences étaient confortables. Il n’y eut pas besoin de discours. Chacune savait. Les regards disaient l’essentiel.
Léa fut la première à partir, sac sur l’épaule, un coquillage dans la poche. Elle serra Nora contre elle, longtemps.
— Tu m’as appris à ne pas avoir peur de devenir moi, murmura-t-elle.
Puis ce fut Yasmine. Elle repartait avec un carnet rempli de portraits, une robe volée au vent, et un projet : ouvrir un atelier d’écriture dans sa ville.
— Je reviendrai, dit-elle. Pas parce que j’en ai besoin, mais parce que j’en ai envie.
Madame Salama ferma la marche. Avant de franchir le seuil, elle se retourna et déclara :
— Ce lieu est un pont. Il ne faut pas le fermer. D’autres viendront.
Nora resta seule. Le calme n’était plus solitude. Elle marcha dans la maison, toucha les objets laissés là : un livre ouvert à la page 153, un collier de perles de verre, un bout de poème froissé. Le vent entrait par la porte ouverte. Il sentait le figuier, la craie chaude et le sel.
Elle s’assit au seuil, face au jour. Son carnet ouvert sur les genoux, elle écrivit :
« L’été ne meurt pas. Il s’installe, discret, dans les gestes, les souvenirs, les voix qu’on garde en soi. »

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