Chapitre 16
Le lendemain, l’air sentait l’orage. Pas une pluie violente, non — ce type d’orage lent à venir, qui s’annonce dans les articulations et dans la lourdeur des pensées. La chaleur s’était accumulée comme une tension dans les murs. Pourtant, personne ne se plaignait.
Nora avait proposé une idée : sortir de la maison, passer la journée en haut de la colline, là où la vue s’ouvrait sur la mer et les collines crayeuses de l’arrière-pays. Elles préparèrent des paniers de pain, d’olives, de tomates confites et de quelques figues fraîches. Léa s’était levée la première, impatiente comme une enfant.
Elles marchèrent, en file souple, sur les sentiers secs bordés de fenouil sauvage. Yasmine avait noué un foulard coloré sur sa tête et souriait comme si elle respirait mieux que d’habitude. Madame Salama avançait lentement, mais refusa toute aide. Nora fermait la marche, le cœur paisible.
En arrivant au sommet, le vent du large les accueillit.
Elles s’installèrent dans l’herbe, en cercle. Pendant un moment, aucune ne parla. Il n’y avait rien à dire, et tout à vivre.
C’est Léa qui brisa le silence.
— J’ai toujours cru qu’être une fille, c’était une faiblesse. On m’a appris à me méfier, à me tenir droite, à ne pas trop rire, à éviter les raccourcis, à ne jamais montrer que j’avais peur. Et je me suis fabriqué une armure. Mais ici… ici j’ai envie d’enlever tout ça. Je me sens… vraie.
Madame Salama hocha la tête.
— Tu n’as pas à être forte tout le temps. Tu as juste à être vivante.
Yasmine attrapa une figue et la coupa en deux, lentement.
— C’est ça, en fait. Depuis qu’on est ici, on ne lutte plus. On pousse.
Nora sourit. Elle regarda ses compagnes, ce petit cercle improbable de femmes nées dans des mondes si différents, réunies par une même envie : exister pleinement. Non pas malgré les autres, mais avec.
Alors elle se leva, ouvrit les bras au ciel et dit :
— Que ce soit écrit, les filles : notre révolution a le goût du pain chaud, du vent d’été, des confidences vraies. Elle ne fait pas de bruit, mais elle transforme tout.
Et en contrebas, le monde continuait de tourner — sans savoir qu’en haut de la colline, à ciel ouvert, quatre femmes avaient changé quelque chose.
Cette nuit-là, Nora emmena le groupe à la mer. Elles nagèrent nues dans le noir. Ce moment suspendu devint rite de passage : chacune savait désormais ce qu’elle devait laisser derrière elle.

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