Le petit monde d'Alice

mardi 22 juillet 2025

Publié par Alice - 0 commentaire

Par une belle journée d'été, un noble samouraï, reconnaissable à son chignon d'homme de guerre, ses manchettes métalliques, sa cuirasse à quatre pans et les deux sabres traditionnels, pénètre d'un pas ferme te paisible dans une modeste auberge de campagne. Nous sommes au XIVe siècle, dans un village de la grande île de Honshu [la plus grande île du Japon, où se trouve aujourd'hui Tokyo]. Un nuage d'insectes bourdonne dans l'air surchauffé.

Le noble samouraï s'asseoit, commande un plat de riz. Il défait le haut de sa cuirasse, dépose avec précaution ses deux sabres. Il est le seul voyageur. Il mage, portant les baguettes à sa bouche, en un geste harmonieux et précis. A ce moment, l'on entend de bruyants éclats de voix. Trois ronins, guerriers vagabonds, sans maître, plus proche en vérités de bandits de grands chemins que d'authentiques samouraï, font irruption dans la salle. Ils interpellent avec grossièreté l'aubergiste, réclament du saké, s'asseoient en se bousculant. Leurs épées étincellent. Soudain, l'un d'entre eux remarque le samouraï silencieux, le nez dans son écuelle, et les deux sabres magnifiques posés à côté de lui. Il fait signe à ses compagnons. Les ronins échangent un coup d'oeil, et se consultent à voix basse. Le samouraï est seul, sans méfiance. L'aubergiste, qui n'est pas un homme de guerre, ne compte pas. Ils sont trois. Ils posent les mains à la garde de leurs épées, prêts à bondir. A cet instant, le noble samouraï soulève négligemment la baguette qu'il tient dans la main droite et, d'un geste coupant et net, vif comme l'éclair : "Clac, clac, clac !", il abat trois mouches qui bourdonnaient à ses oreilles ; et il se remet tranquillement à manger, sans lever le nez d son plat.

Les trois ronins laissent trois pièces de cuivre sur la table et quittent l'auberge, en silence.

Quand un adepte du zen, un sage, est délivré du désir, de la vanité, de la peur, quand son "moi" s'est effacé, quand il est ouvert à l'infini de l'Atma au-dedans de soi ; alors il eut vaincre sans sabre, sans épée, sans combat. 

(Henri Brunel, Les plus beaux contes zen)

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