Le petit monde d'Alice

jeudi 17 juillet 2025

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Chapitre 11

Le matin s’éveilla dans un silence étrange. Pas celui du vide, non — un silence plein, habité, comme une respiration lente après une nuit dense. Dans la cour, les draps claquaient au vent. Nora avait lancé une « grande lessive collective », sorte de rituel improvisé, presque symbolique, pour laver ce qui pesait encore sur les épaules.
 
— Ce n’est pas qu’une question de propreté, dit-elle en versant de l’eau dans une bassine. C’est une façon de faire place.
 
Yasmine secouait une vieille nappe brodée, et son rire se mêlait au claquement du tissu.
 
— Je crois que tu as inventé la première forme de thérapie ménagère radicale.
 
Même Madame Salama avait apporté deux taies d’oreiller anciennes, repliées avec soin. Elle observait les gestes des plus jeunes, comme on regarde un passé qui se transforme sans se trahir. Et Léa, silencieuse, frottait une chemise avec une attention grave, comme si chaque tache effacée retirait une part d’ombre.
 
Le fil tendu entre deux figuiers accueillait peu à peu toute une vie suspendue : des tissus, mais aussi des secrets. Nora en profita pour sortir un vieux t-shirt qu’elle ne portait plus depuis des années — un vêtement offert par quelqu’un qu’elle avait aimé, puis perdu.
 
— Pourquoi tu le gardes ? demanda Léa.
 
— Parce qu’il m’a rendue heureuse. Et que l’oubli, parfois, ce n’est pas de tourner la page, c’est de savoir l’archiver sans douleur.
 
Léa acquiesça sans parler. Elle commençait à comprendre ce qu’étaient ces « heures claires » dont Nora parlait parfois — ces moments suspendus, lumineux, même au cœur des jours ordinaires. Ce n’était pas une quête éperdue de bonheur, mais une manière de respirer librement.
 
Dans l’après-midi, alors que le linge séchait au soleil, un colis arriva pour Yasmine. Elle s’était inscrite quelques jours plus tôt à une formation d’herboristerie, après une nuit d’insomnie et une discussion passionnée sur les tisanes et les pouvoirs des simples.
 
Elle ouvrit le paquet devant toutes : un livret, des fioles d’huiles essentielles, des sachets d’ortie, de mélisse et de millepertuis.
 
— Tu vas devenir une sorcière, murmura Léa, mi-moqueuse, mi-admirative.
 
— Une soigneuse, corrigea Yasmine en souriant. Et c’est exactement ce que j’ai envie d’être maintenant.
 
La journée se termina dans la lumière rase du soir, avec un sentiment rare : celui d’être exactement à sa place, parmi les sœurs d’un même éveil.
 
Une vieille radio, un air de Nina Simone, Léa propose une danse. On pousse les meubles, on rit, on oublie les cicatrices. Ode à la joie retrouvée, à la liberté incarnée par les gestes, au plaisir simple d’exister ensemble.


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