Chapitre 14
La chaleur s’était alourdie. Même le mistral semblait avoir renoncé à protester contre l’été. Tout était suspendu dans un souffle tiède, presque moite. Dans le quartier de Vauban, les rues dormaient à l’heure de la sieste, sauf dans la maison de Nora, où le silence était celui de la concentration.
Ce jour-là, Nora s’était installée à sa table, les fenêtres ouvertes, un cahier vierge devant elle. Sa main caressait doucement le papier, comme on touche la peau d’un enfant. Elle hésitait. Depuis longtemps, elle traduisait les mots des autres. Mais aujourd’hui, elle sentait l’urgence d’écrire les siens.
Dans le jardin, Léa grattait la terre avec une énergie fébrile. Elle avait décidé de désherber la bordure derrière la glycine. C’était devenu un rituel : chaque fois qu’elle avait trop d’émotions à contenir, elle les semait dans le sol. Elle avait découvert que le bruit sourd de la binette, le parfum de l’herbe coupée, la morsure de la terre sous les ongles, avaient un pouvoir d’apaisement étrange. C’était une colère utile.
Yasmine, elle, avait repris un carnet. Elle s’était remise à écrire de petits récits. Des souvenirs d’hôpital, des scènes de veille au chevet, des paroles murmurées par des patientes qu’on oubliait trop vite. Elle ne voulait plus que ces histoires disparaissent.
Dans la maison, entre les pages blanches, les silences et les herbes folles, quelque chose naissait. Lentement. Une œuvre collective, intime, et silencieuse. Pas un manifeste — une floraison.
Nora traça enfin une phrase. Elle fut simple, sans emphase, mais elle vibrait de vérité :
Nous n’avons plus peur du bruit que fait notre liberté quand elle grandit.
Le soir venu, les trois femmes s’assirent sur les marches du jardin, à l’heure où les cigales se taisent et où les ombres prennent leur teinte bleutée.
— On change, dit Yasmine. Tu le sens ?
— On se retrouve, rectifia Léa. C’est différent.
— On s’invente, murmura Nora.
Et dans cette lumière douce, on aurait pu croire que le monde entier retenait son souffle pour écouter.

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