Chapitre 12
Le vent avait tourné. Le mistral, d’abord discret, s’était mis à souffler avec insistance. Il balayait les rues de Marseille comme un messager pressé, emportant les poussières du passé, les papiers froissés des jours anciens.
Dans la maison de Nora, on avait fermé les volets, tamisé la lumière. Le silence s’était à nouveau invité, mais cette fois, il avait des contours de confidence. Ce soir-là, elles s’étaient réunies autour d’une tisane préparée par Yasmine, un mélange apaisant de verveine, lavande et camomille.
— On devrait écrire un livre, dit Léa, en observant les reflets dorés dans sa tasse. Quelque chose comme… Carnet de résistances ordinaires.
— Ou Chroniques d’un jardin qui repousse, ajouta Nora.
Elles éclatèrent de rire, mais le ton bascula rapidement. Madame Salama, d’ordinaire discrète, redressa un peu son dos, et sans prévenir, sa voix fendit l’air.
— J’ai été mariée à un homme qui ne m’a jamais demandé ce que je pensais. Il me saluait à peine, mais surveillait mes sourires. Quand il est mort, tout le monde m’a dit « tu vas être perdue ». Moi, je me suis levée à l’aube, j’ai ouvert les fenêtres et j’ai respiré.
Un silence doux suivit. Pas un silence gêné, non — un silence d’écoute. De respect.
— Je n’ai jamais eu d’enfant, dit-elle ensuite. Mais j’ai une vie. Et aujourd’hui, je veux encore m’en servir. Pour dire. Pour transmettre. Pour brûler ce qui m’a tenue en cage.
Yasmine posa sa main sur la sienne. Léa n’osait plus bouger.
— Ce qu’on cache derrière nos sourires polis… soupira Yasmine.
— Ce sont souvent nos cicatrices, répondit Nora. Et tu sais quoi ? Elles parlent. Elles racontent ce qu’on a traversé. Ce qu’on a survécu. Ce qu’on devient.
La lampe diffusait une lumière dorée. Chacune, dans cette petite pièce, portait ses failles, ses marques. Mais ce soir-là, rien ne pesait. Tout brillait. Comme si ces failles étaient les vitraux d’un sanctuaire en construction.
Plus tard, en rangeant les tasses, Léa murmura à Nora, presque comme une enfant qui ne veut pas rompre le charme :
— C’est ça, alors, être forte ? Parler de ce qui faisait mal, sans trembler ni pleurer ?
— C’est ça, oui. Mais surtout : ne plus le porter seule.

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