Le petit monde d'Alice

vendredi 23 août 2024

Publié par Alice - 2 commentaires

"Quand Papa acheta la maison de Montclair, il nous la décrivit comme une baraque en ruine dans un quartier misérable. Nous crûmes d’abord que c’était une de ses farces habituelles, mais il finit quand même par nous convaincre que ce n’était qu’une bicoque. 
- Ça coûte un tas d’argent d’entretenir une famille pareille ! disait-il. La nourriture, les vêtements, les études, les notes de médecins, redresser les dents de travers et payer des icecreams, et quoi encore ! Je suis navré, mais je n’ai pas pu faire mieux. Nous tâcherons de la rafistoler comme nous pourrons et il faudra bien nous en contenter. 
Nous vivions à cette époque-là à Providence, dans l’Etat de Rhode Island. Nous fîmes le voyage en voiture et, quand nous passions devant une masure plus ou moins en mauvais état, Papa nous la montrait du doigt. 
- Vous voyez, c’est une maison dans ce genre-là, mais il y a encore plus de carreaux cassés et la cour est peut-être un peu plus petite. 
A l’entrée de Montclair, il nous fit passer par les plus affreux faubourgs de la ville et s’arrêta enfin devant une construction abandonnée dans laquelle une sorcière elle-même ne se serait pas sentie à l’aise. 
- Voilà, dit-il. Nous y sommes ! Tout le monde descend. 
- C’est une plaisanterie, n’est-ce pas, mon ami ? demanda Maman. 
- Pourquoi ? Elle ne te plaît pas ? 
Maman reprit doucement : 
- Si c’est la maison que tu désires, mon ami, c’est parfait. 
Mais Ernestine s’écria : 
- C’est un taudis, voilà ce que c’est. 
- Personne ne vous demande votre avis, Mademoiselle, répliqua Papa. Je parlais avec votre mère et je vous serais obligé de ne pas vous mêler à la conversation. 
- Tu peux la garder, ta maison. 
Ernestine savait bien qu’elle s’aventurait sur un terrain glissant, mais elle était hors d’elle-même et s’en moquait. 
- Tu peux la garder ! Je n’y toucherais pas avec des pincettes !
- Ni moi, renchérit Martha. Pas même en tenant les pincettes avec des gants ! 
- Chut, chut ! murmura Maman, Papa sait mieux que nous ce qu’il nous faut. 
Et comme Lilly éclatait en sanglots, elle ajouta gaiement : 
- Avec une couche de peinture et quelques planches pour boucher les trous, ce ne sera pas si mal que ça ! 
Papa commençait à sourire. Il fouilla dans sa poche pour prendre son calepin. 
- Nom d’un chien, mes enfants, attendez une seconde, je me suis trompé d’adresse ! Rembarquez-vous. Je me disais bien que cette maison avait l’air plus délabré que lorsque je l’avais vue la dernière fois !
Et il nous mena au numéro 68 de Eagle Rock Way qui était une vieille mais belle maison de style Taj Mahal, avec quatorze pièces, une grange à deux étages, une serre, un poulailler, une vigne, des rosiers et deux douzaines d’arbres fruitiers. 
Nous pensâmes d’abord que c’était une nouvelle taquinerie de Papa et que, cette fois, la maison était beaucoup trop belle ! 
- Non, non, c’est bien là, nous dit-il. Si je vous ai conduits d’abord devant l’autre maison et si je ne vous ai pas décrit celle-ci d’avance, c’est que… je ne voulais pas que vous ayez une déception. Vous me pardonnez ? 
Nous lui dîmes que oui." 

2 commentaires :

  1. J'ai lu ce livre quand j'avais 16 ou 17 ans et j'avais été fascinée par le métier du père, qui rationalisait tout. La rationalisation des processus c'était plutôt l'apologie du travail à la chaîne, mais je trouvais quand même le père très astucieux, sympathique et plein d'humour. Il faudrait que je le relise pour voir ce qui me reste de la lecture de ce livre, car en moi, tout au long de ma vie, il y a toujours eu lutte entre la fantaisie, qui m'est naturelle et la rationalisation qui rend efficace.

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    1. Je l'ai récupéré par hasard, dernièrement, dans une boîte à livres et ça m'a fait bougrement plaisir de le relire ! :-))

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