1e partie > ici
Le bouffon
Trois longues années passèrent. La Sicile était heureuse et toute chose allait bien sous le roi qui n'était pas Robert. Robert était toujours le bouffon de la cour, et son coeur devenait tous les jours plus dur et plus amer. Plusieurs fois, durant les trois années, le roi qui avait sa figure et sa voix l'avait fait venir auprès de lui, alors que personne d'autre ne se trouvait là, et lui avait demandé, en le regardant dans les yeux : "Qui es-tu ?"... Mais, chaque fois, Robert avait relevé fièrement la tête, en répondant : "Je suis le roi !" et le regard de l'autre roi était devenu triste et sévère.
La visite à Rome
A la fin des trois années, le Pape invita ses frères, l'Empereur d'Allemagne et le Roi de Sicile, à venir le voir dans la grande ville de Rome. Le Roi de Sicile s'y rendit avec une longue suite d'hommes à pied et à cheval...
Jamais on n'avait rien vu de si brillant ; les courtisans en merveilleux habits de soie et de velours, et les serviteurs portant les superbes présents destinés au Pape. Et, tout à la fin, venait Robert le bouffon. Son cheval était vieux et laid, et le singe chevauchait en croupe. Dans les villages, chacun le montrait du doigt en riant.
Le pape reçut ses frères et leur cour sur la grande place, devant Saint-Pierre. Avec de la musique, et des fleurs, et des oriflammes, il donna l'accolade à son frère, le Roi de Sicile. Au milieu des réjouissances, le bouffon fendit la foule, et vint se jeter aux pieds du pontife :
- Regardez-moi ! s'écria-t-il. Je suis votre frère, Robert de Sicile ! Cet homme est un imposteur ; il m'a volé mon trône ; je suis le roi Robert !...
Le Pape regarda le pauvre bouffon avec pitié, et l'Empereur d'Allemagne se tourna vers le Roi de Sicile et lui dit : "N'est-il pas dangereux pour vous, mon frère, de garder un fou comme bouffon ?" et Robert fut repoussé au dernier rang des serviteurs.
C'était la Semaine Sainte. Le Roi et l'Empereur assistaient tous les jours aux vêpres dans la cathédrale. Les services semblaient plus somptueux et plus purs que d'habitude, et le peuple de Rome s'en aperçut et dit : "Il semble qu'un ange passe." Mais personne ne savait pourquoi. Et quand le jour de Pâques arriva, et que, dans la grande basilique pleine de fleurs et d'encens, le peuple se tint agenouillé, écoutant le chant des psaumes, il leur sembla qu'ils ne les avaient jamais trouvés si beaux.
Robert alla aux vêpres et s'assit à la plus humble place et, de nouveau, il entendit les choeurs qui répétaient le Magnificat :
"Il a renversé les puissants de leurs trônes,
"Et Il a élevé les humbles."
Et, comme il écoutait, son coeur se fondit enfin. Il sentit, lui aussi, cette étrange et solennelle présence. Il pensa à sa méchanceté, se souvint de son égoïsme et de son orgueil d'autrefois, et ce soir-là, sur son lit de paille, il pleura, non à cause de sa puissance perdue, mais à cause de ses mauvaises actions.
Les fêtes se terminèrent, et le Roi de Sicile revint dans son royaume, avec toute sa cour. Robert le bouffon revint aussi.
Le soir de leur arrivée, il y eut un service spécial d'actions de grâces dans la chapelle royale, et, après le service, les moines et les clercs restèrent dans la chapelle pour chanter. Le son de leurs voix arrivait jusque dans la salle des banquets où le Roi était assis en grande pompe, recevant ses sujets. Il les renvoya tous, disant qu'il désirait être seul, mais il garda le bouffon. Et quand tout le monde fut parti, le roi regarda Robert dans les yeux et lui dit : "Qui es-tu ?"
Humilité et récompense
Robert de Sicile baissa la tête :
- Tu le sais, dit-il ; moi, je sais seulement que je suis un pécheur.
Alors il entendit les voix des moines et des clercs qui chantaient :
"Il a renversé les puissants de leurs trônes,
"Et Il a élevé les humbles."
Mais, soudain, les voix éclatèrent en chants joyeux, une lumière dorée remplit la salle, et Robert, levant les yeux, vit la figure du Roi rayonnant d'une clarté céleste et, comme il tombait à genoux, il entendit le Roi lui dire :
- Je suis un ange, et toi tu es le roi !
Et Robert de Sicile se trouva seul, revêtu de ses vêtements royaux, portant sa couronne et son anneau. Il était Roi. Et quand ses courtisans revinrent, ils trouvèrent leur Roi agenouillé en silence devant son trône.
(D'après le poème de Henry Longfellow)
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