On raconte qu'il y avait un roi de Sicile nommé Robert, frère du grand Pape qui régnait alors à Rome et de l'Empereur qui gouvernait l'Allemagne. C'était un roi égoïste et orgueilleux, beaucoup plus préoccupé de ses plaisirs que des besoins de son peuple.
Un jour, Robert de Sicile était assis dans sa chapelle sous un dais magnifique, et revêtu de ses vêtements royaux ; ses courtisans l'entouraient. Le choeur chantait les répons ordinaires, en latin, et les belles voix pures s'élevaient sous les hautes voûtes. Le roi remarqua que certaines phrases revenaient plus souvent que d'autres, comme un refrain. Il se tourna vers un clerc qui était à son côté et lui demanda ce que signifiaient ces paroles, car il ne savait pas le latin.
- C'est un verset du Magnificat, répondit le clerc, et cela signifie :
"Il a renversé les puissants de leurs trônes,
"Et Il a élevé les humbles."
- Il est heureux que ces paroles aient été écrites en latin, dit le roi avec colère, car j'aurais puni celui qui aurait osé les dire ! Qui pourrait me renverser de mon trône ?
Et il s'appuya contre le dossier doré avec un rire méprisant.
Le service était long, et le roi s'endormit. Il dormit longtemps, et, quand il se réveilla, il était seul dans l'église silencieuse et sombre. Lui, le roi, avait été laissé tout seul dans l'église ! Il écumait de surprise et de rage, et, trébuchant parmi les sièges, il atteignit la porte et frappa rudement, en appelant ses serviteurs.
Le vieux sacristain entendit du bruit dans l'église et crut que c'était quelque ivrogne qui s'était endormi pendant les vêpres. Il vint à la porte et cria :
- Qui est là ?
- C'est moi, le roi ! Ouvrez ! cria du dedans une voix furieuse. Ouvrez !
- C'est un fou, pensa le sacristain effrayé.
Il ouvrit la porte avec précaution. Un homme en vêtements sales et déchirés, avec une chevelure en désordre et une figure pâle, sortit en courant. Le sacristain ne se souvenait pas de l'avoir jamais vu, il le suivit des yeux avec étonnement.
Dans ses haillons, sans coiffure et sans manteau, ne sachant pas ce qui lui était arrivé, le roi Robert se précipita vers la grille de son palais, repoussa les serviteurs étonnés, et grimpa les escaliers avec une rage folle, vers la chambre d'où sortaient les voix de ses courtisans. Hommes et femmes essayèrent de l'arrêter sans y parvenir. Il marcha droit à la salle des banquets.
L'autre roi
La grande salle était toute brillante de lumières et de fleurs ; les tables étaient couvertes de mets recherchés ; les courtisans, en riches vêtements de fête, riaient et causaient, et, au bout de la table, sur un trône, était assis un roi. Sa figure, sa taille, sa voix, étaient celles de Robert de Sicile ; aucun être humain n'aurait pu en douter. Il était revêtu des habits royaux ; il avait sur sa tête la couronne royale et à son doigt brillait l'anneau royal. Robert, demi-nu, se tenait plein de rage devant le trône et regardait avec stupeur cette image de lui-même.
Le roi le regarda.
- Qui es-tu, et que fais-tu ici ? demanda-t-il, et quoique sa voix fut celle de Robert, elle avait un timbre profond, comme une cloche.
- Je suis le roi, cria Robert de Sicile. Je suis le roi et toi, tu es un imposteur !
Les courtisans tirèrent leurs épées. Ils auraient tué ce fou qui insultait leur roi, mais celui-ci étendit la main et les arrêta. Il regarda Robert dans les yeux et dit :
- Non, pas le roi, mais le bouffon du roi. Tu porteras le bonnet et la marotte, et tu amuseras mes courtisans. Tu seras le serviteur de mes serviteurs ; et tu auras pour compagnon le singe du bouffon.
Avec des rires et des plaisanteries, les seigneurs chassèrent Robert de la salle du banquet ; avec des rires et des plaisanteries, les serviteurs le poussèrent dans la salle des gardes, et, là, les pages le revêtirent du costume de bouffon. C'était comme un rêve terrible ; il ne pouvait pas le croire, et il ne pouvait pas comprendre ce qui lui arrivait. Il s'endormit dans le chenil et, quand il se réveilla le lendemain matin, il crut avoir eu un cauchemar, mais il sentit la paille sous sa joue et vit qu'il était dans l'étable, avec le singe tremblant à ses côtés. Robert de Sicile était un bouffon, et personne n'aurait voulu le reconnaître pour le roi.
Jan Matejko, Stańczyk |
Suite demain soir...
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