La vieille malédiction d'Eve

Qu’on ne s’y méprenne pas, je n’ai pas pour habitude de me montrer inhospitalière. J’aime même à penser que je suis tout le contraire. Tant que ce monsieur fut mon hôte, je vous assure que je veillais à l’ordonnancement des repas avec le plus grand soin, et que je fis monter de la cave tant de bouteilles de vin qu’à la fin il n’en resta plus, si bien que nous dûmes nous contenter de limonade. Mais enfin, tout départ donne un sentiment de soulagement. Si agréable qu’ait été le séjour de nos hôtes, c’est toujours un plaisir de pouvoir se détendre, de retrouver ses habitudes et ses pantoufles, et ce plaisir est encore plus grand lorsque c’est un soupirant qui nous quitte, car les soupirants sont bien fatigants. Même lorsqu’on n’a nulle intention de les encourager, on aime à paraître à son avantage, ce qui exige un surcroît d’efforts et fait perdre un temps précieux.

J’avais fourni tous ces efforts mais à contre-cœur. Chaque soir, en montant me coucher, je regrettais de m’être tant appliquée à me montrer charmante pendant le dîner. Je l’avais fait, pourtant. Etait-ce donc la vieille malédiction d’Eve qui me frappait à mon tour ?

Par bonheur, je n’écris pas ici mon autobiographie, et ne suis pas tenue de répondre à cette embarrassante question.

Avec la fin des vacances, je retrouvais ma solitude. Coco et moi étions de nouveau seuls au monde, et nous reprîmes le cours de notre vie commune. Pour mon plus grand plaisir, et pour le sien aussi – apparemment.

(Elizabeth von Arnim, Tous les chiens de ma vie)

Coco