Les années passèrent. La reine devint la fière maman de six belles jeunes filles. Lorsqu'elles devinrent adultes les unes après les autres, les cinq aînées épousèrent de beaux et puissants princes, alors que la benjamine s'éprit du bûcheron qui venait tous les matins amener du bois au cuisinier du roi. Lorsque le roi en fut informé, il entra dans une colère terrible et ordonna à la princesse de ne plus jamais revoir le bûcheron. Ce dernier revint le lendemain matin livrer son bois. La princesse s'enfuit avec lui, l'épousa et ils s'installèrent dans sa pauvre masure. Quand le roi découvrit que sa plus jeune fille lui avait désobéi et épousé le bûcheron, il fut hors de lui, se saisit de son épée et se précipita dans les appartements de la reine : "La jeune princesse m'a couvert de honte !", s'écria-t-il. "Je voudrais l'étrangler de mes propres mains, mais par amour pour toi, je dois me dominer. Dès ce jour, elle n'est plus ma fille. Je ne veux plus jamais revoir son visage et je t'interdis également de la rencontrer !"
La reine, qui chérissait tendrement sa plus jeune fille, fut désespérée. Elle pleurait du matin au soir et n'arrivait presque plus à dormir. Une nuit, sans se rendre compte de ce qu'elle faisait, elle se leva de son lit, prit une pantoufle du roi et se mit à la mordiller et la ronger. Soudain consciente de ce qu'elle était en train de faire, elle emporta la pantoufle rongée, retourna prestement dans son lit et la cacha sous son drap. Le lendemain matin, le roi fut stupéfait de ne pas retrouver sa pantoufle. Il la chercha partout, mais en vain. "C'est tout de même étrange", dit-il. "La pantoufle était ornée de rubis et de brillants. Si un voleur l'a dérobée, pourquoi n'a-t-il pas pris les deux ?" Le roi ne parvenait pas à s'expliquer ce mystère. Il choisit une autre paire de pantoufles encore plus précieuses que les premières, les enfila et vaqua à ses occupations. Tard dans la nuit, la reine se remit à ronger une pantoufle, finit par s'en rendre compte, courut à son lit et cacha la deuxième pantoufle sous son drap. "Cette nuit, je vais tirer cette affaire au clair", se promit le roi à son réveil. "Qu'il s'agisse d'un voleur ou d'un fantôme, je réussirai bien à le capturer." C'est avec de nouvelles pantoufles aux pieds qu'il s'occupa le lendemain des affaires du royaume. Quand l'heure vint de se coucher, il enleva les pantoufles, les déposa à côté du lit, puis se cacha derrière une colonne, armé de son épée, au lieu de se coucher.
Il était fort tard, le roi était sur le point de renoncer, lorsqu'il vit la reine se glisser dans sa chambre. Elle se dirigea vers le lit, s'assit par terre, prit une pantoufle et se mit à la mâchouiller énergiquement. Le roi ne pouvait presque pas en croire ses yeux. Il sortit de sa cachette fou furieux et réclama des explications à la reine. La pauvre reine fut bien obligée de lui avouer la vérité. Elle lui raconta comment le bon ermite avait transformé le petit chien qu'elle était en une jeune fille. Ulcéré par l'idée d'avoir épousé une chienne, le roi chassa son épouse du palais. Celle-ci s'en fut en sanglots, retourna chez l'ermite et le supplia de lui rendre sa forme initiale, disant qu'elle n'avait aucune envie de continuer à vivre dans le corps d'une femme.
Le vieil ermite pria de nouveau et ses prières furent exaucées. La reine se transforma de nouveau en chien. Bien des jours passèrent. Les six filles de la reine lui manquaient de plus en plus. Elle demanda la permission à l'ermite et se mit en route.
Elle se rendit d'abord chez sa fille aînée, s'arrêta devant la porte et s'écria : "Ouvre-moi la porte, ma fille, laisse-moi entrer ! Je suis ta mère et je viens te rendre visite." La princesse ouvrit ; lorsqu'elle vit le chien sur le pas de la porte, elle se mit en colère et le chassa à coups de pierres. La même scène se répéta chez chacune de ses filles richement mariées.
Lorsque les cinq filles aînées l'eurent chassée à coups de pierres, elle décida de se rendre chez sa plus jeune fille qui avait épousé un bûcheron.
Elle y fut accueillie à bras ouverts, avec amour et tendresse. Sa benjamine lava et pansa les plaies avant de nourrir sa mère de lait chaud et de riz. "Je te remercie, ma chère fille !", soupira la mère. "Les plaies de mon corps sont profondes, mais celles creusées dans mon coeur par l'ingratitude de tes soeurs le sont bien plus encore. Je sais que je vais mourir avant le coucher du soleil. Lorsque je serai morte, enterre-moi devant ta masure !" Et il en fut ainsi : la mère mourut au coucher du soleil. Sa plus jeune fille l'avait aimée tendrement, malgré la forme sous laquelle sa mère lui était apparue.
Elle la pleura longuement, puis enterra le corps devant sa modeste maison.
Suite et fin demain soir...
0 commentaire
Enregistrer un commentaire