Nul ne savait d’où il était
venu, mais il se tenait là, immobile, obstiné, têtu, bien décidé à demeurer
ainsi tout le temps que durent les joutes de l’ombre et de la lumière…
Il avait roulé jusqu’ici
comme, après la fonte des neiges, ces pierres qui dévalent du sommet vers la
vallée. Comme elles, il ne bougerait plus d’un pouce…
Sa course s’arrêterait là…
Ce serait là également que
se joueraient son destin et sa vie…
Quoi qu’il en soit, il
accepterait la tombée du verdict : rejet ou adoption, qu’importe, mais
il faudra bien qu’on lui
dise, une fois pour toute, si on veut ou non de lui…
C’est ainsi, dans cette
exacte disposition d’esprit, que Philomène le trouva couché au milieu de sa
cour face à la porte fermée…
Il faut dire qu’il n’avait,
alors, guère plus de chair sur les os, qu’il sentait l’abandon et l’errance,
qu’il était couvert de poussière, de puces, de tiques et de boue…
Son allure était si peu
engageante, qu’elle appelait plus le coup de balai ou l’injonction à déguerpir
qu’un apitoiement bienvenu ou qu’une invitation à demeurer quelque temps…
Il faut très peu de chose
parfois et en quelques secondes seulement pour qu’une vie bascule vers
l’exclusion, l’isolement et la mort…
- C’est à cause de ses yeux
; des yeux presque humains où se lisait bien plus que l’humain, dira-t-elle
bien plus tard…
Elle avait plongé ses yeux à
elle dans la profondeur de ses yeux à lui et ce, comme on plonge, en plein été,
un seau au fond du puits et que remonte, à la surface, une eau fraîche et
claire qui redonne de la vie à la vie…
Elle n’avait rien dit,
n’avait fait aucun geste vers l’animal… Elle avait ouvert sa porte puis, elle
était venue déposer une écuelle sur la margelle de l’escalier avant que de
reprendre ses occupations habituelles…
Les yeux lourds avaient
compris cela dans cet entendement que seuls les yeux humains et un peu plus
qu’humains savent échanger entre eux, au-delà des paroles et du silence même…
Plus rien ne pressait, les
nuages les plus sombres s’étaient retirés dans un pli du ciel masqué par l’azur…
Il referma les yeux et
s’abandonna enfin à un repos paisible et profond, la truffe à même la pierre
chaude…
L’écuelle pouvait attendre…
Il était chez lui !
(Une nouvelle du druide Bran Du)
Source : http://www.lesditsducorbeaunoir.com/
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