Cerises rouges et troubadour
(Marie-Luce Dayer)
Une servante la mit bas.
Dans l’étable du château.
Le plus simplement et le
plus naturellement du monde.
C’était une nuit d’hiver.
En lui donnant son lait, sa
mère lui prodigua caresses et tendresse.
Puis vint le temps où elle
fut confiée à une sœur plus âgée. Les caresses se firent rares…
Elle garda de la tendresse
un goût de miel sur les lèvres.
A quatre ans, elle fut
chargée de porter ordres et messages à travers le château. Elle se déplaçait
avec une telle agilité, une telle souplesse, une telle rapidité qu’on la
surnomma « Feu follet » et qu’on oublia le prénom que sa mère avait
choisi pour elle.
A sept ans, elle passa aux
cuisines et fut chargée des travaux les plus ingrats et les plus obscurs. Elle
lava les sols, les casseroles, éplucha les légumes, devint porteuse d’eau.
Un jour, il y eut un grand
branle-bas dans les cuisines, une agitation telle qu’elle se retira dans un
coin pour éviter d’être bousculée ou frappée par des servantes excitées.
Debout près d’une lucarne,
elle découvrit avec émerveillement et stupeur la cour centrale où une foule
nombreuse s’organisait dans une attente fébrile. Les femmes étaient superbement
vêtues, recouvertes de bijoux. Les hommes, habillés de soie, laissaient flotter
leurs rubans. Elle fut brusquement tirée de ses rêves par une servante qui posa
un manteau sur ses épaules, enfonça un chapeau sur sa tête, lui confia un
immense plat d’argent rempli de cerises rouges.
« Va te poster à
l’entrée de la salle royale, offre ces fruits à quiconque en voudra, mais
surtout, ne relève jamais la tête. Ta laideur ferait fuir les dames et les
seigneurs. »
Elle obéit, alla s’installer
comme demandé et attendit.
Le plateau d’argent était
très lourd, elle fut vite fatiguée. Bientôt, les dames et les seigneurs
arrivèrent, mangèrent en riant ses fruits. Avec ses yeux baissés, elle ne
voyait que des chaussures et des bas de soie.
Soudain, quelqu’un demanda
« Quel est ton nom ? »
Elle se garda bien de
répondre ou de relever son visage.
La voix reposa la même
question une deuxième fois, puis une troisième fois, accompagnée d’un geste qui
souleva son menton. Alors, elle vit le plus beau visage qui se puisse voir. Des
yeux clairs et doux, une bouche souriante, des cheveux bouclés.
Eperdue, elle bredouilla :
« On m’appelle Feu follet ».
« Feu follet, reprit la
voix amusée, quel étrange prénom ! Eh bien, Feu follet, tes fruits sont
beaux ! Merci de me les offrir ! »
L’homme sourit encore,
effleura sa joue d’une caresse et entra dans la salle royale. La musique se mit
à jouer, tout le monde s’inclina.
Feu follet retourna aux
cuisines et demanda qui était celui devant qui on s’inclinait.
On se moqua d’elle.
Elle n’avait pas reconnu le
roi !
(Suite demain soir même heure !)
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