Le petit monde d'Alice

mercredi 11 novembre 2015

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Cerises rouges et troubadour

(Marie-Luce Dayer)

Une servante la mit bas.
Dans l’étable du château.
Le plus simplement et le plus naturellement du monde.

C’était une nuit d’hiver.

En lui donnant son lait, sa mère lui prodigua caresses et tendresse.
Puis vint le temps où elle fut confiée à une sœur plus âgée. Les caresses se firent rares…
Elle garda de la tendresse un goût de miel sur les lèvres.

A quatre ans, elle fut chargée de porter ordres et messages à travers le château. Elle se déplaçait avec une telle agilité, une telle souplesse, une telle rapidité qu’on la surnomma « Feu follet » et qu’on oublia le prénom que sa mère avait choisi pour elle.

A sept ans, elle passa aux cuisines et fut chargée des travaux les plus ingrats et les plus obscurs. Elle lava les sols, les casseroles, éplucha les légumes, devint porteuse d’eau.

Un jour, il y eut un grand branle-bas dans les cuisines, une agitation telle qu’elle se retira dans un coin pour éviter d’être bousculée ou frappée par des servantes excitées.

Debout près d’une lucarne, elle découvrit avec émerveillement et stupeur la cour centrale où une foule nombreuse s’organisait dans une attente fébrile. Les femmes étaient superbement vêtues, recouvertes de bijoux. Les hommes, habillés de soie, laissaient flotter leurs rubans. Elle fut brusquement tirée de ses rêves par une servante qui posa un manteau sur ses épaules, enfonça un chapeau sur sa tête, lui confia un immense plat d’argent rempli de cerises rouges.

« Va te poster à l’entrée de la salle royale, offre ces fruits à quiconque en voudra, mais surtout, ne relève jamais la tête. Ta laideur ferait fuir les dames et les seigneurs. »

Elle obéit, alla s’installer comme demandé et attendit.

Le plateau d’argent était très lourd, elle fut vite fatiguée. Bientôt, les dames et les seigneurs arrivèrent, mangèrent en riant ses fruits. Avec ses yeux baissés, elle ne voyait que des chaussures et des bas de soie.
Soudain, quelqu’un demanda « Quel est ton nom ? »

Elle se garda bien de répondre ou de relever son visage.

La voix reposa la même question une deuxième fois, puis une troisième fois, accompagnée d’un geste qui souleva son menton. Alors, elle vit le plus beau visage qui se puisse voir. Des yeux clairs et doux, une bouche souriante, des cheveux bouclés.

Eperdue, elle bredouilla : « On m’appelle Feu follet ».

« Feu follet, reprit la voix amusée, quel étrange prénom ! Eh bien, Feu follet, tes fruits sont beaux ! Merci de me les offrir ! »

L’homme sourit encore, effleura sa joue d’une caresse et entra dans la salle royale. La musique se mit à jouer, tout le monde s’inclina.

Feu follet retourna aux cuisines et demanda qui était celui devant qui on s’inclinait.

On se moqua d’elle.
Elle n’avait pas reconnu le roi !


(Suite demain soir même heure !)

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