Au temps de la comtesse d'Armaillé

A cette époque, la bonne vie de province avait repris, depuis la Révolution, ses anciennes habitudes. On savait même peut-être mieux qu'autrefois vivre heureux et indépendant. On n'imagine pas les petits talents, les ressources, les distractions et les occupations qui se trouvaient unis, dans ces castels, dans ces hôtels de petites villes, à des qualités sérieuses et des sentiments élevés. Peu de soirées s'écoulaient sans musique, sans récitation de vers, sans petites représentations de proverbes.
 
Les femmes travaillaient à de jolies tapisseries, des dentelles, des broderies, ou jouaient du piano et toujours par cœur quelques-unes de la harpe. D'autres chantaient sans prétention. Dans la journée, il y avait la surveillance de la cuisine, la confection des entremets, des compotes, des confitures. On se passait de précieuses recettes, des secrets, gardés dans de vieilles familles, d'un certain pâté de foie gras au vin de Sauternes, ou d'un lièvre à la Henri IV.
 
(Marie Célestine Amélie de Ségur, comtesse d'Armaillé (1830-1918), Quand on savait vivre heureux.1830-1860.)