Edmund Blair Leighton, Tristan and Isolde (1902)
Lai du Chèvrefeuille
J'ai bien envie de vous raconter
la véritable histoire
du lai qu'on appelle Le chèvrefeuille
et de vous dire comment il fut composé et quelle fut son origine.
5 On m'a souvent relaté
l'histoire de Tristan et de la reine,
et je l'ai aussi trouvée dans un livre,
l'histoire de leur amour si parfait,
qui leur valut tant de souffrances
10 puis les fit mourir le même jour.
Le roi Marc, furieux
contre son neveu Tristan,
l'avait chassé de sa cour
à cause de son amour pour la reine.
15 Tristan a regagné son pays natal,
le sud du pays de Galles,
pour y demeurer une année entière
sans pouvoir revenir.
Il s'est pourtant ensuite exposé sans hésiter
20 au tourment et à la mort.
N'en soyez pas surpris :
l'amant loyal
est triste et affligé
loin de l'objet de son désir.
25 Tristan, désespéré,
a donc quitté son pays
pour aller tout droit en Cornouaille,
là où vit la reine.
Il se réfugie, seul, dans la forêt,
30 pour ne pas être vu.
Il en sort le soir
pour chercher un abri
et se fait héberger pour la nuit
chez des paysans, de pauvres gens.
35 Il leur demande
des nouvelles du roi
et ils répondent
que les barons, dit-on,
sont convoqués à Tintagel.
40 Ils y seront tous pour le Pentecôte
car le roi veut y célébrer une fête :
il y aura de grandes réjouissances
et la reine accompagnera le roi.
Cette nouvelle remplit Tristan de joie :
45 elle ne pourra pas se rendre à Tintagel
sans qu'il la voie passer !
Le jour du départ du roi,
il revient dans la forêt,
sur le chemin que le cortège
50 doit emprunter, il le sait.
Il coupe par le milieu une baguette de noisetier
qu'il taille pour l'équarrir.
Sur le bâton ainsi préparé,
il grave son nom avec son couteau.
55 La reine est très attentive à ce genre de signal :
si elle aperçoit le bâton,
elle y reconnaître bien
aussitôt un message de son ami.
Elle l'a déjà reconnu,
60 un jour, de cette manière.
Ce que disait le message
écrit par Tristan,
c'était qu'il attendait
depuis longtemps dans la forêt
65 à épier et à guetter
le moyen de la voir
car il ne pouvait pas vivre sans elle.
Ils étaient tous deux
comme le chèvrefeuille
70 qui s'enroule autour du noisetier :
quand il s'y est enlacé
et qu'il entoure la tige,
ils peuvent ainsi continuer à vivre longtemps.
Mais si l'on veut ensuite les séparer,
75 le noisetier a tôt fait de mourir,
tout comme le chèvrefeuille.
"Belle amie, ainsi en va-t-il de nous :
ni vous sans moi, ni moi sans vous !"
La reine s'avance à cheval,
80 regardant devant elle.
Elle aperçoit le bâton
et en reconnaît toutes les lettres.
Elle donne l'ordre de s'arrêter
aux chevaliers de son escorte,
85 qui font route avec elle :
elle veut descendre de cheval et se reposer.
On lui obéit
et elle s'éloigne de sa suite,
appelant près d'elle
90 Brangien, sa loyale suivante.
S'écartant un peu du chemin,
elle découvre dans la forêt
l'être qu'elle aime le plus au monde.
Ils ont enfin la joie de se retrouver !
95 Il peut lui parler à son aise
et elle, lui dire tout ce qu'elle veut.
Puis elle lui explique
comment se réconcilier avec le roi :
elle a bien souffert
100 de le voir ainsi congédié,
mais c'est qu'on l'avait accusé auprès du roi.
Puis il lui faut partir, laisser son ami :
au moment de se séparer,
ils se mettent à pleurer.
105 Tristan regagne le pays de Galles
en attendant d'être rappelé par son oncle.
Pour la joie qu'il avait eue
de retrouver son amie,
et pour préserver le souvenir du message
qu'il avait écrit
110 et des paroles échangées,
Tristan, qui était bon joueur de harpe,
composa, à la demande de la reine,
un nouveau lai.
D'un seul mot je vous le nommerai :
115 les Anglais l'appellent Goatleaf
et les Français Chèvrefeuille.
Vous venez d'entendre la véritable histoire
du lai que je vous ai raconté.
(Marie de France, poétesse du Moyen Âge qui vécut pendant la seconde moitié du XIIème siècle en France et surtout en Angleterre. Elle est la première femme à avoir écrit des poèmes en français.)
Petite suite médiévale de Francis-Paul Demillac
(I. Sicilienne, II. Sonnerie, III. Après une page de Ronsard)
Barbara Kahlert : flûte
Oliver Thedieck : guitare
C’est absolument charmant, prenez le temps de l’écouter …
très romantique et petite musique d'accompagnement charmante
RépondreSupprimerQuelle belle idée de nous offrir, à la veille de la St Valentin,le lai du Chèvrefeuille. Je l'ai toujours conservé en moi !
RépondreSupprimertu peux être fière
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