Le petit monde d'Alice

mardi 15 juillet 2025

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Chapitre 9

La sonnette avait retenti une première fois, puis une seconde, plus brève, comme si la main hésitait.
 
Nora se leva sans se presser, jetant un regard par-dessus son épaule à Yasmine, qui haussa les sourcils. Léa, encore ensommeillée, se tenait sur le seuil de la cuisine, une tasse à la main.
 
Quand Nora ouvrit la porte, elle découvrit une femme d’une soixantaine d’années, élancée, les cheveux gris retenus en chignon, les traits fins et fermés. Elle portait une robe longue couleur terre battue et tenait dans ses bras un bouquet sec de lavandes mêlées de blé et de tiges sauvages.
 
— Je suis Élise, dit-elle simplement. J’ai connu Salama. Autrefois.
 
Un souffle de vent fit danser la jupe de sa robe et le bouquet émit un léger froissement. Nora s’effaça pour la laisser entrer.
 
Madame Salama mit quelques secondes à reconnaître Élise. Puis un sourire lent, chargé de souvenirs, lui monta au visage.
 
— Élise Charvet… Je croyais que tu étais partie à Montréal ?
 
— Je suis revenue. Pour quelques mois. Il paraît que cette maison est devenue une sorte de refuge. On m’a parlé de toi. Et de Nora aussi.
 
Le reste du jour se déroula dans un calme suspendu. Élise parlait peu, mais elle observait tout. Elle écrasait lentement ses mots dans sa gorge, comme si elle pesait chaque syllabe. C’était une femme d’écoute. Une de celles qui savent que le silence est une manière d’écrire les choses.
 
Le soir, autour d’une salade de chèvre chaud au miel et de verres de citronnade, elle finit par dire :
 
— J’ai connu des femmes qui ont tout donné pour les autres et ont tout perdu d’elles-mêmes. Et j’en ai connu qui ont su s’aimer jusqu’au bout. J’ai tenté d’être les deux. Je ne sais pas encore qui je suis devenue.
 
Elle avait laissé son bouquet sec sur la table du salon, et l’odeur de lavande s’était mêlée à celle du jasmin du jardin.
 
Léa, intriguée, l’observait comme on regarde un vieux livre qu’on aimerait lire mais qu’on n’ose pas encore ouvrir.
 
C’est Nora qui prit la parole :
 
— Tu es chez toi ici, Élise. Et tu peux être l’une ou l’autre. Ou quelqu’un d’autre encore. Il n’y a pas de rôle assigné ici.
 
Alors Élise se leva, prit une gorgée d’eau, et demanda :
 
— Et si on écrivait notre histoire, à plusieurs mains ? Celles qui ont été, celles qui sont, celles qui arrivent ?
 
Un silence accueillit ses mots. Puis Léa murmura :
 
— Comme un chœur.
 
Madame Salama acquiesça.
 
— Un chœur de vivantes.
 
Et c’est ainsi qu’une idée naquit, fragile encore, mais lumineuse : écrire ce que les siècles avaient trop souvent fait taire.

lundi 14 juillet 2025

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Chapitre 8

Le soir tombait doucement, sans heurt, comme une main sur une joue fatiguée. Dans la cuisine, les rires s’élevaient par vagues. Nora avait préparé un tajine d’abricots au safran, recette transmise par la mère de Madame Salama. Léa coupait du pain en fines tranches irrégulières, concentrée. Yasmine chantonnait une vieille chanson kabyle que sa grand-mère lui fredonnait quand elle était enfant, pendant que Madame Salama battait le rythme du bout des doigts sur la table.
 
Il y avait là, dans cette pièce saturée d’odeurs chaudes, quelque chose de doux et neuf à la fois, comme une complicité tissée au fil d’une confiance sans promesses.
 
Après le dîner, elles installèrent des coussins sur la terrasse. Le ciel, profond, s’emplissait d’étoiles, et l’air portait ce souffle particulier des nuits d’été méditerranéennes — sec, vibrant, presque minéral.
 
C’est Léa qui parla la première.
 
— Je n’ai pas l’habitude… d’être entourée de femmes qui ne me regardent pas comme un problème.
 
Un silence, puis Nora répondit doucement :
 
— Tu n’es pas un problème, Léa. Tu es une page qui s’écrit. Avec ton encre à toi.
 
Léa baissa les yeux, les joues un peu rouges. Elle savait que ces mots étaient vrais, mais elle ne savait pas encore comment les habiter.
 
Yasmine, elle, était pensive. Elle observait la façade de la maison, légèrement éclairée par la lune, et dit soudain :
 
— Je suis convaincue que cette maison nous entend. Que ses murs enregistrent tout.
 
— Tout ? demanda Nora.
 
— Les chagrins, les colères, les silences, les mots qu’on n’a jamais osé dire à voix haute… et peut-être même les rires de maintenant.
 
Madame Salama sourit.
 
— Les maisons sont vivantes, dit-elle. Les femmes aussi. Mais on a essayé, trop souvent, de nous figer. De nous clouer au décor. Cette maison… c’est un lieu de mue. Elle vous écoute, oui. Mais elle vous pousse aussi à changer de peau.
 
Cette nuit-là, Léa ne dormit pas. Elle marcha pieds nus dans le couloir, toucha les murs, ouvrit un vieux placard où elle trouva un carnet oublié, aux pages vierges. Elle n’écrivit pas encore. Mais elle le serra contre elle en murmurant :
 
— Je ne suis pas seule.
 
Au petit matin, un pigeon roucoulait sous l’avancée du toit. Yasmine préparait déjà le café. Nora lisait les nouvelles : encore une loi votée, encore une avancée pour les droits des femmes — petite, mais symbolique.
 
— Le monde bouge, dit-elle, à mi-voix. Et nous aussi.
 
Nora traduisait un roman afghan, Yasmine écrivait un essai de soins féminins, Léa griffonnait des slogans pour les murs de la ville. Madame Salama racontait Alger, 1956, et les murs où l’on chuchotait déjà la liberté.
 
Ce n’était pas une révolution. C’était une lente germination.
 
C’est alors que la sonnette retentit.
 
Une nouvelle invitée.

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Le 14 juillet, fête nationale française, célèbre deux événements majeurs : la prise de la Bastille en 1789, symbole du début de la Révolution française, et la Fête de la Fédération de 1790, qui marqua l’unité nationale. Cette journée incarne les valeurs de liberté, égalité et fraternité. Elle est marquée par des défilés, dont le célèbre défilé militaire sur les Champs-Élysées, des feux d’artifice, des bals populaires et des festivités dans tout le pays. Le 14 juillet est un moment de communion nationale, célébrant l’histoire et l’identité de la France.

dimanche 13 juillet 2025

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Deux personnes m’ont demandé où trouver le début du roman…
En bas de page, il y a la liste des libellés,
cliquer sur « Feuilleton » et repartir depuis tout en bas.

Chapitre 7

À midi pile, un taxi se gara devant la maison. Une femme mince, élégamment vêtue d’une robe bleu nuit, en descendit avec lenteur. Elle portait un châle de lin blanc, des bracelets fins et un regard d’une intensité brûlante. Pas un mot de trop, pas un geste inutile.
 
— Nora, ma fille de papier, dit-elle en souriant.
 
Elles s’embrassèrent longuement. Nora avait les yeux humides. Elle ne l’avait pas revue depuis plus de dix ans.
 
Madame Salama salua Léa et Yasmine avec la courtoisie de ceux qui ont vécu plusieurs vies. Elle s’installa à l’ombre du figuier, demanda un verre d’eau fraîche, et observa.
 
Très vite, les conversations reprirent. Mais quelque chose avait changé. La vieille femme imposait sans violence un rythme différent. Elle laissait les silences exister. Elle regardait les visages comme on regarde une énigme à aimer, pas à résoudre.
 
— Vous savez, dit-elle à un moment, pendant longtemps, on m’a appris à me taire. Sur tout. Mon corps, mes désirs, mes colères. Mais le silence aussi peut être une révolte, à condition de savoir quand le rompre.
 
Léa l’écoutait, suspendue.
 
— Et quand avez-vous décidé de parler ? demanda-t-elle.
 
— Aujourd’hui. Ici. Avec vous.
 
Et alors, tout doucement, dans un après-midi tiède, elle raconta.
 
Son départ d’Algérie dans les années 60. Sa jeunesse brisée par des promesses non tenues. Le mariage imposé. Les années d’exil à Paris, puis Marseille. Le jour où elle avait découvert la poésie de Forough Farrokhzad, et où elle avait su que le feu ne meurt pas, il couve.
 
Personne ne prit de notes. Personne ne l’interrompit. Mais chacune, en son for intérieur, grava ses mots.
 
Lorsque le vent se leva, emportant quelques feuilles sèches au jardin, Madame Salama se leva, remit son châle sur les épaules, et murmura :
 
— Ici, je sens que quelque chose recommence.
 
Elle n’était venue que pour deux jours. Elle allait rester tout l’été.

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