Chapitre 9
La sonnette avait retenti une première fois, puis une seconde, plus brève, comme si la main hésitait.
Nora se leva sans se presser, jetant un regard par-dessus son épaule à Yasmine, qui haussa les sourcils. Léa, encore ensommeillée, se tenait sur le seuil de la cuisine, une tasse à la main.
Quand Nora ouvrit la porte, elle découvrit une femme d’une soixantaine d’années, élancée, les cheveux gris retenus en chignon, les traits fins et fermés. Elle portait une robe longue couleur terre battue et tenait dans ses bras un bouquet sec de lavandes mêlées de blé et de tiges sauvages.
— Je suis Élise, dit-elle simplement. J’ai connu Salama. Autrefois.
Un souffle de vent fit danser la jupe de sa robe et le bouquet émit un léger froissement. Nora s’effaça pour la laisser entrer.
Madame Salama mit quelques secondes à reconnaître Élise. Puis un sourire lent, chargé de souvenirs, lui monta au visage.
— Élise Charvet… Je croyais que tu étais partie à Montréal ?
— Je suis revenue. Pour quelques mois. Il paraît que cette maison est devenue une sorte de refuge. On m’a parlé de toi. Et de Nora aussi.
Le reste du jour se déroula dans un calme suspendu. Élise parlait peu, mais elle observait tout. Elle écrasait lentement ses mots dans sa gorge, comme si elle pesait chaque syllabe. C’était une femme d’écoute. Une de celles qui savent que le silence est une manière d’écrire les choses.
Le soir, autour d’une salade de chèvre chaud au miel et de verres de citronnade, elle finit par dire :
— J’ai connu des femmes qui ont tout donné pour les autres et ont tout perdu d’elles-mêmes. Et j’en ai connu qui ont su s’aimer jusqu’au bout. J’ai tenté d’être les deux. Je ne sais pas encore qui je suis devenue.
Elle avait laissé son bouquet sec sur la table du salon, et l’odeur de lavande s’était mêlée à celle du jasmin du jardin.
Léa, intriguée, l’observait comme on regarde un vieux livre qu’on aimerait lire mais qu’on n’ose pas encore ouvrir.
C’est Nora qui prit la parole :
— Tu es chez toi ici, Élise. Et tu peux être l’une ou l’autre. Ou quelqu’un d’autre encore. Il n’y a pas de rôle assigné ici.
Alors Élise se leva, prit une gorgée d’eau, et demanda :
— Et si on écrivait notre histoire, à plusieurs mains ? Celles qui ont été, celles qui sont, celles qui arrivent ?
Un silence accueillit ses mots. Puis Léa murmura :
— Comme un chœur.
Madame Salama acquiesça.
— Un chœur de vivantes.
Et c’est ainsi qu’une idée naquit, fragile encore, mais lumineuse : écrire ce que les siècles avaient trop souvent fait taire.
