Chapitre 8
Le soir tombait doucement, sans heurt, comme une main sur une joue fatiguée. Dans la cuisine, les rires s’élevaient par vagues. Nora avait préparé un tajine d’abricots au safran, recette transmise par la mère de Madame Salama. Léa coupait du pain en fines tranches irrégulières, concentrée. Yasmine chantonnait une vieille chanson kabyle que sa grand-mère lui fredonnait quand elle était enfant, pendant que Madame Salama battait le rythme du bout des doigts sur la table.
Il y avait là, dans cette pièce saturée d’odeurs chaudes, quelque chose de doux et neuf à la fois, comme une complicité tissée au fil d’une confiance sans promesses.
Après le dîner, elles installèrent des coussins sur la terrasse. Le ciel, profond, s’emplissait d’étoiles, et l’air portait ce souffle particulier des nuits d’été méditerranéennes — sec, vibrant, presque minéral.
C’est Léa qui parla la première.
— Je n’ai pas l’habitude… d’être entourée de femmes qui ne me regardent pas comme un problème.
Un silence, puis Nora répondit doucement :
— Tu n’es pas un problème, Léa. Tu es une page qui s’écrit. Avec ton encre à toi.
Léa baissa les yeux, les joues un peu rouges. Elle savait que ces mots étaient vrais, mais elle ne savait pas encore comment les habiter.
Yasmine, elle, était pensive. Elle observait la façade de la maison, légèrement éclairée par la lune, et dit soudain :
— Je suis convaincue que cette maison nous entend. Que ses murs enregistrent tout.
— Tout ? demanda Nora.
— Les chagrins, les colères, les silences, les mots qu’on n’a jamais osé dire à voix haute… et peut-être même les rires de maintenant.
Madame Salama sourit.
— Les maisons sont vivantes, dit-elle. Les femmes aussi. Mais on a essayé, trop souvent, de nous figer. De nous clouer au décor. Cette maison… c’est un lieu de mue. Elle vous écoute, oui. Mais elle vous pousse aussi à changer de peau.
Cette nuit-là, Léa ne dormit pas. Elle marcha pieds nus dans le couloir, toucha les murs, ouvrit un vieux placard où elle trouva un carnet oublié, aux pages vierges. Elle n’écrivit pas encore. Mais elle le serra contre elle en murmurant :
— Je ne suis pas seule.
Au petit matin, un pigeon roucoulait sous l’avancée du toit. Yasmine préparait déjà le café. Nora lisait les nouvelles : encore une loi votée, encore une avancée pour les droits des femmes — petite, mais symbolique.
— Le monde bouge, dit-elle, à mi-voix. Et nous aussi.
Nora traduisait un roman afghan, Yasmine écrivait un essai de soins féminins, Léa griffonnait des slogans pour les murs de la ville. Madame Salama racontait Alger, 1956, et les murs où l’on chuchotait déjà la liberté.
Ce n’était pas une révolution. C’était une lente germination.
C’est alors que la sonnette retentit.
Une nouvelle invitée.

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