Chapitre 5
Yasmine l’infirmière arriva le lendemain soir avec sa voiture cabossée, ses sandales poussiéreuses et un sac rempli de dossiers médicaux. Elle venait de quitter l’hôpital : trop de burn-out, trop de colère, trop de silences. Le visage marqué, le dos droit, une femme d’une quarantaine d’années, usée par des années de travail de nuit, de cadences absurdes et de mots qu’on ne dit pas aux soignantes. Ses deux enfants chez leur père, elle avait un besoin impérieux de vide.
— J’ai besoin de quelques jours pour respirer, dit-elle en posant son sac. Je peux dormir dans le jardin s’il faut, dit-elle.
— Tu peux dormir ici, répondit Nora.
Le salon devint dortoir. La maison respirait autrement.
Elle ne précisa pas tout de suite qu’elle avait quitté son poste brutalement. Ni qu’elle songeait à ne plus y revenir. Mais ses gestes parlaient pour elle : elle pliait ses vêtements lentement, comme quelqu’un qui vient déposer un poids plus vaste que son bagage.
Léa l’observa longtemps ce premier soir. Yasmine, elle, observait les livres de Nora.
Elles ne se connaissaient pas. Elles venaient de mondes différents. Mais cette maison faisait tomber les barrières doucement, comme la mer efface les traces sur le sable.
Le soir, elles mangèrent ensemble sur la terrasse une tarte aux courgettes et burent du thé à la menthe du jardin. Aucun écran, aucun fond sonore, juste leurs voix.
— Ici, on n’attend rien de vous, avait dit Nora. Mais vous pouvez tout dire.
Elles parlèrent alors. D’abord peu. Puis un peu plus. Des mères absentes, des pères étouffants, des rêves qu’on avait repoussés pour les autres. Des métiers choisis « par raison ». Des amours oubliés ou étouffés.
Le mot réinvention n’était jamais prononcé, mais il flottait dans l’air, entre les géraniums et le ciel d’encre.
Et ce soir-là, pour la première fois, Léa écouta sans se crisper. Yasmine sourit sans se forcer. Et Nora se sentit utile sans s’effacer.
C’était cela, peut-être, l’aube des heures claires.

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