Le petit monde d'Alice

mardi 8 juillet 2025

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Chapitre 2

Trois coups secs, hésitants. Pas ceux d’un facteur ou d’une voisine. Plutôt comme un code que personne n’aurait encore inventé. Nora, intriguée, ouvrit la porte. Une jeune fille se tenait là, de petite taille et fine silhouette dans une robe noire délavée, les cheveux attachés en un chignon bâclé, un regard qui demandait refuge. Son sac à dos semblait trop lourd pour elle.
 
— Bonjour, dit-elle, la voix un peu rauque. Vous êtes… Nora ?
 
Nora hocha la tête sans répondre tout de suite.
 
— Je m’appelle Léa. C’est Madame Salama qui m’a parlé de vous.
 
Léa avait dix-sept ans, tout juste. Elle était en rupture scolaire depuis quelques mois, après avoir claqué la porte d’un lycée trop étroit, trop froid, trop « cadré » comme elle disait. Chez elle, la parole n’était pas libre, surtout pas pour une fille. Sa mère ne comprenait pas ses envies d’art, de lecture, de temps pour penser. Son père n’admettait pas qu’elle refuse le BTS qu’il avait choisi pour elle. Léa avait commencé à dormir chez des amis, parfois sur un matelas au sol, parfois pas du tout.
 
C’est au marché de Noailles qu’elle avait croisé Madame Salama, l’ancienne institutrice octogénaire à l’allure impérieuse et aux yeux plus vifs que bien des jeunes. Cette dernière l’avait vue pleurer, un midi, sur le banc près des herbes fraîches.
 
— Viens t’asseoir, petite, lui avait-elle dit. J’ai connu d’autres colères que la tienne.
 
Elles avaient parlé. Beaucoup. Léa lui avait confié ses lectures — Duras, Beauvoir, Bell Hooks —, ses colères contre ce qu’on attendait d’elle, son dégoût des adultes qui parlent en donnant des ordres déguisés. Madame Salama, en souriant, lui avait parlé de Nora. Pas comme d’un refuge, mais comme d’un carrefour.
 
— Elle ne te dira pas quoi faire, mais tu trouveras des phrases à hauteur de ta pensée.
 
C’est comme ça que Léa avait obtenu l’adresse. Un papier plié en quatre, tenu serré dans la poche de son jean comme une promesse. Et maintenant, elle était là. Devant Nora.
 
— Tu peux entrer, dit Nora après un moment de silence.
 
La maison exhalait l’odeur du basilic et du papier. Un vieux ventilateur cliquetait dans un coin du salon. Léa entra doucement, sans poser son sac tout de suite, comme si elle n’était pas certaine d’avoir le droit de rester.
 
— Tu peux déposer ton sac, ajouta Nora. Tu es ici chez toi… aussi longtemps que tu en auras besoin.
 
Léa haussa les sourcils, émue, presque troublée, ses épaules se relâchèrent un peu. On ne lui avait jamais dit ça.
 
Elle posa alors son sac. Et, sans le savoir, elle venait d’ouvrir un chapitre nouveau, non seulement dans sa vie, mais aussi dans celle de cette maison, bientôt pleine de voix féminines, de confidences nocturnes, de décisions lentes mais déterminées.

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