Lors de mes visites, j’aime
farfouiller dans cet endroit qui fut celui d’une partie de mon enfance,
explorer le désordre, ranger un peu. Je parcours les rayons des grandes
bibliothèques qui encadrent les couloirs. Mon père n’avait pas pu faire d’études :
issu d’une famille pauvre, il était devenu très vite mousse dans la marine. Il
respectait au plus haut point les livres, mais il n’en lisait pas ; je n’ai
aucun souvenir de lui penché sur un quelconque bouquin. Il était en revanche
persuadé que c’est par les livres et les études que ses enfants échapperaient à
la condition sociale qui avait été la sienne. Alors il remplissait la maison de
livres, et nous, ses fils, nous les lisions inlassablement.
Il n’avait jamais eu non
plus de jouets dans sa propre enfance, et il en achetait beaucoup pour mes
trois filles. Il les cachait dans les petits recoins de la maison, pour pouvoir
leur offrir lors de leurs visites.
Et là, en rangeant le
placard bas d’une bibliothèque, je tombe sur un de ces gisements de jouets,
dissimulés derrière les bouquins. Bouffée de passé instantanée. J’imagine la
scène, je vois le visage de mon père, le sourire aux lèvres, dans ses vieilles
fringues improbables, cachant les jouets à cet endroit, heureux par avance du
moment où il va les offrir, ou les faire découvrir à ses petites-filles : « Plus
haut, plus bas ; non, pas ici ; ah, là, ça brûle… »
Il est mort très vite, en
quelques semaines, d’un cancer généralisé, et n’a jamais eu le temps de les
offrir, ces petits cadeaux. Ils sont restés là, endormis, à attendre qu’on les
découvre. Je suis à la fois triste et heureux de cette irruption à mon esprit
de son visage et de sa présence, au moins pour quelques instants. C’est sans
doute ainsi que nous devons repenser à nos morts : en les revoyant vivants
et heureux.
J’ai les jouets dans les
mains, je les observe attentivement, ils me semblent dégager une drôle d’énergie,
celle de l’amour dont ils sont encore chargés. Jamais je n’avais pris
conscience à ce point que, finalement, tous les cadeaux que l’on reçoit dans
une vie sont des messages d’attention, d’affection et d’amour. C’est Noël dans
quelques semaines, et je ne sais pas si je vais avoir des cadeaux (aurai-je été
assez sage ?). Mais si c’est le cas, je sais qu’ils vont me mettre dans un
sacré drôle d’état. C’est étrange qu’il n’y ait pas de mot précis pour décrire
cette émotion si forte et si importante qui consiste à se sentir aimé…"
(Christophe André, Psychologies Magazine de ce mois de décembre
2017)
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