Le petit monde d'Alice

mardi 5 septembre 2017

Publié par Alice - 2 commentaires

Considéré comme un acte subversif, un pays totalitaire a interdit le rire. Heureusement, un jour...

A cet instant où toute l'Erébie retenait son souffle, où même les choucas se faisaient discrets, où la brise de vallée avait suspendu son cours, à cet instant d'une extraordinaire solennité où la tension était à son comble, où les abeilles butineuses, d'habitudes si laborieuses, devaient se tenir quelque part trompe en l'air, s'éleva le bruit le plus extravagant, le plus trivial, le plus obscène, le plus sacrilège, le plus fou, le plus inattendu, un RIRE CRISTALLIN, un rire merveilleux, un rire de soprano au vibrato soutenu en une chatoyante tonalité majeure, un rire absolument pur, le rire de la félicité. Comme en écho, à l'autre bout de la place, après trente secondes, trente interminables secondes d'une attente intolérable, une voix grave lui répondit, puissante, profonde, un rire de basse vibrante remontant du fond des âges, le fameux rire à déclencher des avalanches. L'assistance n'était plus qu'une immense statue de granite. Pétrifiée, immobile comme saisie d'effroi. Cela dura une éternité. […] et bientôt l'on entendit, chose incroyable, inouïe, inimaginable, ce rire se répandre dans toute cette multitude, comme un de ces feux de broussailles qui gagnent la montagne dans l'arrière-été, finissant par tout embraser. Une toute petite touffe d'herbe sèche, une brassée, le talus, toute la pente ! En quelques minutes l'incendie s'était généralisé. Il s'était propagé par vagues d'un bout à l'autre de la place et revenait, paroxystique, déferler à son point de départ. D'abord les gens, le regard fermé, s'étaient observés à la dérobée, en dessous, sournoisement, puis s'étaient regardés, stupéfaits; ensuite, démarche horriblement scabreuse, bien dans les yeux, franchement attendant la réaction de l'autre, puis des voisins. Certains avaient commencé par esquisser un vague sourire, le premier, le plus risqué, celui qui pouvait décider de leur sort. C'était difficile, très difficile. Peu à peu ils s'étaient déridés d'abord timidement, les commissures des lèvres hésitantes, puis mis à rire, à rire franchement, à éclater de rire, à pleurer de rire, à se gondoler sans retenue. Ceux qui en avaient la place se tordaient à même le sol. On tombait dans les bras les uns des autres.

(Raymond BruckertLe Rire interdit : apogée et chute d'une utopie)

Ben Will

2 commentaires :

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    ஜ۩۞۩ஜ ALICE♥ ஜ۩۞۩ஜ

    "Le rire est une larme qui se console toute seule."

    Christian Bobin - La folle allure

    "Alice au pays des mères vieilles" °!°

    https://www.youtube.com/watch?v=IrSAZSTclmE

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    Réponses
    1. La scène de la maison de retraite n'est pas très réconfortante ! lol C'est quand même pas la joie de vieillir, semble-t-il... ;-)
      Quoique... > https://img11.hostingpics.net/pics/830530vieilledameoriginale.jpg :-))

      ஜ۩۞۩ஜ ALICE♥ ஜ۩۞۩ஜ

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