Le petit monde d'Alice

dimanche 9 avril 2017

Publié par Alice - 9 commentaires

C’était un seigneur de village riche à foison, bon cœur, bel air. Le sabotier du bout du bourg était pauvre comme un caillou mais le monsieur l’aimait beaucoup. Tous deux étaient amis d’enfance. Si bien que le jour de janvier où l’épouse du miséreux accoucha de l’enfant de trop (ils en avaient une douzaine), le seigneur dit au sabotier :
– Ne t’inquiète pas, je l’adopte.
Il n’avait lui, que trois garçons.
– Merci bien.
C’était une fille. On la baptisa Marilou.



Elle grandit avec ses trois frères. Quand leur vint du poil au menton, un soir de giboulées d’avril, devant le feu du grand salon, le vieux père dit à ses fils :
– Vous aimez notre Marilou ?
– Évidemment, quelle question !
– Sachez donc, mes beaux garnements qu’elle n’est pas vraiment votre sœur.
– Bonne nouvelle, je l’épouse !
– Moi aussi !
– Non c’est moi l’aîné !
Fiévreux, impatients, intenables, émerveillés, parlant ensemble, ils assaillirent le fauteuil où leur père rougeaud, rieur, tentait de les tenir au large.
– Holà, du calme les enfants. Avant que votre cœur explose, puisque la mèche est allumée, voici ce que je vous propose. Allez tous les trois à Paris, cherchez et trouvez le cadeau que vous jugerez digne d’elle et revenez chez nous avec. C’est Marilou qui choisira.
Les voilà aussitôt partis à la ville aux mille boutiques. Sous le portail de Notre-Dame:
– Séparons-nous là, dit l’aîné. A chacun ses rues et sa chance. Rendez-vous ici dans trois jours.
Troisième  matin, midi juste. Chacun s’en vient sur le parvis.
– à moi Marilou, dit l’aîné. Je crois que le sort me désigne. J’ai rencontré la nuit dernière sous un lampion un vieux cocher qui n’avait plus qu’une heure à vivre. Il m’a dit «  soit le bienvenu, j’allais mourir sans héritier. Tu crois ma voiture banale, mais elle cache son jeu, fiston. Elle est magique, et pas qu’un peu. Tu montes dedans, tu dis ouste, et elle te porte en un clin d’œil où tu désires te trouver. Elle est à toi. Adieu, bon vent. »
– Pas mal, pas mal, dit le deuxième. Mais écoute un peu ma chanson. Moi, hier soir, dans une rue noire, j’ai trébuché sur un voleur qui venait de cambrioler le grenier d’un maître astrologue. Il m’a grogné : « Tu tombes bien. Un télescope pour trois sous, presque neuf, tu fais une affaire. » Je l’ai acheté. Le voici. Chance pour moi, mes bons amis, sa valeur est inestimable. Il permet de voir d’ici-bas jusqu’à la plus lointaine étoile. Ainsi j’aperçois à l’instant le visage de Marilou. Elle regarde par la fenêtre, elle soupire. Elle rêve de moi. Et toi frérot, qu’as-tu trouvé ?
– Moi ? Trois pommes, dit le cadet. J’ai rencontré hier une vieille. Ses fils l’avaient abandonnée, elle en était mélancolique. Je lui ai tenu compagnie. Ce matin quand je l’ai quittée, elle les a fourrées dans ma poche. Elle m’a dit : «  Ne les mange pas, garde-les pour l’heure fatale. Elles guérissent tous les poisons. Même un pied dans la nuit des morts elles ramènent qui mord dedans à la lumière des vivants. »
Ils s’en allèrent visiter, le nez au vent, la capitale. Enfin comme le soir tombait, fourbus, contents :
– A la maison ! dit l’aîné. Mes frères, en voiture !
– Attends, dit le deuxième, attends que je voie si la soupe est prête !
Il mit l’œil à sa longue-vue, fit « ho » puis «  ha » puis :
– Catastrophe ! Père  et mère sont dans leur lit, Marilou est couchée par terre, ils agonisent, ils vont mourir !
L’aîné dit « ouste » à sa voiture. Les voici aussitôt rendus. Le cadet fonce dans la chambre. Une pomme pour Marilou, les deux autres pour ses parents. Les voilà sauvés. On respire, on s’embrasse, et l’on va dîner. Au dessert :
– A qui Marilou ?
L’aîné désigne sa voiture. Elle est là, au pied du perron. Le deuxième sort de son sac sa longue-vue bien astiquée et le cadet tend ses mains nues. Marilou les prend et les baise.
– Au meilleur des hommes, dit-elle. A celui qui a tout donné sans rien garder pour son salut. Pas d’objection ?
Chacun se tait. Le conteur aussi. Bonne nuit.
(Henri Gougaud, Le livre des chemins : Contes de bon conseil pour questions secrètes)


9 commentaires :

  1. Joli conte !!!

    https://www.youtube.com/watch?v=5T7ymRraQ1s

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    1. Merci de ton passage et de la chanson de Marylou ! ;-)

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  2. « Tout le monde est un génie. Mais si on juge un poisson sur sa capacité à grimper à un arbre, il passera sa vie à croire qu’il est stupide. » Albert Einstein

    https://www.youtube.com/watch?v=BmNOad968Sg

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    1. A publier prochainement ! Merci !

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    2. A ton service bella :D
      Au nom du partage (émoticoeur)

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  3. j'ai indiqué le chemin de tes merveilleux contes à mes petits enfants, des mamans et mamies.
    En veux tu un pour toi, Alice ? http://eperluette.over-blog.com/2017/06/le-grand-mal.html
    belle fin d'année !

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    1. Ah, très beau conte classique : un jeune amour provoque la jalousie, brise l'amitié de longue date et s'ensuit une tragédie...
      Tu me permets de le bloguer ?

      A toi aussi, Emma, bonne fin d'année, plus que quelques heures et nous serons en 2020 !!! :-))

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    2. si tu veux, il faut que les histoires et les chansons voyagent...

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    3. Tu as grandement raison : transmettons au maximum les belles choses !
      Je te tiendrai au courant quand je publierai ton conte.

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