Le petit monde d'Alice

vendredi 17 mars 2017

Publié par Alice - 4 commentaires


Nuki vendait de l'alcool sur le marché de Tchen. Elle avait là, au coin de la place, une échoppe accueillante, quoique minuscule et fort encombrée. Les boissons qu’elle y servait étaient réputées les meilleures de la ville. Nuki était considérée, malgré son apparente fragilité, comme la plus compétente et la plus infatigable des tenancières. Mais bien que désirable et attentive à tous, elle intimidait les hommes. Il leur suffisait de rencontrer la lumière vive et sans cesse amusée de son regard pour savoir qu'elle n'était pas femme à tolérer une main sale sur sa hanche. 
Un jour, un Immortel apparut sur le seuil. En vérité, rien ne le distinguait du commun des êtres. Elle le prit pour un simple lettré. C’était l’heure où le soleil éblouissait les flacons sur l’étagère. Il entra et commanda un gobelet de liqueur. Il le dégusta en regardant la rue. Après quoi il se leva, il remercia Nuki pour l’excellence de sa maison, et lui dit qu’il n’avait pas le moindre sou. Il lui proposa de lui laisser, en guise de paiement, un livre qu’il tira de sa manche. Elle accepta.
Au soir, quand elle eut mis le volet à sa porte, elle alluma la lampe dans le réduit qui lui servait de chambre, s’assit sur son lit et, tout en dînant d’amandes et de raisins secs, elle ouvrit le livre. Elle s’étonna d’abord. L'art des jouissances amoureuses y était abondamment commenté. Elle ignorait qu'on pût écrire sur de pareils sujets. Une sorte de honte émerveillée échauffa bientôt ses joues et ses tempes tandis qu’elle découvrait, tournant les pages d’un doigt mouillé, les manières les plus heureuses de donner du plaisir, d’en recevoir et de faire de la communion des ventres une source inépuisable de vigueur et de beauté. La nuit suivante, elle apprit par cœur le texte des cinq chapitres que contenait l’ouvrage. Puis, considérant que le savoir n’était que vaine poussière s’il n’était pas éprouvé par le corps et si les sens n’y avaient point leur part, elle décida de mettre en pratique ce qu’elle avait appris.
Elle débarrassa l’arrière-boutique des flacons vides et poussiéreux qu’elle avait accumulés au cours des ans et aménagea un lieu de rendez-vous secret. Tous les soirs, elle invita des jeunes gens à s’exercer avec elle à cet art qu’elle avait vu décrit et précieusement illustré. Elle devint peu à peu l’amoureuse la plus déconcertante et la plus épanouie du monde. Le jour, servant à boire, pas plus qu’au temps de sa chasteté elle ne tolérait les familiarités des audacieux. Le soir, avec celui qu’elle avait discrètement élu, elle abandonnait toute pudeur et cultivait d’insoupçonnables félicités. Elle fit ainsi, trente années durant, et non seulement ne vieillit pas, mais parut au contraire jour après jour parée de beautés nouvelles.
Un matin, à l’heure même où il était pour la première fois venu, l'Immortel franchit à nouveau le seuil de la boutique. Nuki le reconnut. Elle savait maintenant qui il était. Il lui sourit. Elle baissa les yeux et sourit aussi. Comme elle lui servait un gobelet de liqueur, il lui dit :
- Je vois que t’ont poussé des ailes.
- Oui, lui répondit-elle. Apprends-moi maintenant à voler dans le ciel.
Elle demeura debout près de lui. Il but, la mine rêveuse, puis sans se retourner s’en alla parmi la foule du marché. Elle ne prit même pas le temps de quitter son tablier, ni de mettre le volet à sa porte. Elle le suivit. Personne ne la revit jamais, ni à Tchen, ni ailleurs.

(Henri Gougaud, Le Livre des amours)

4 commentaires :

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    I Love ALICE♥♥♥♥ ☆
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    "Cheminant sur le sentier du désert, le roi Salomon rencontra une fourmilière et aperçut une fourmi restée à l'écart, toute occupée à déplacer, un grain après l'autre, un tas de sable. «Un labeur exagéré pour une faible fourmi » commenta Salomon, ce à quoi la fourmi lui répondit :
    « C'est pour l'amour de ma bien-aimée que je travaille ainsi. Cet obstacle me sépare d'elle. Rien ne pourra donc me distraire de son effacement. Et si à cette œuvre j'use toutes mes forces, au moins je mourrai dans l'étrange et bienheureuse folie de l'espérance. » Ainsi parla la fourmi amoureuse. Ainsi le roi Salomon découvrit, sur le sentier du désert, le feu de l'amour véritable"

    Henri Gougaud - Contes des sages soufis

    ღ˚ •。* ♥ ˚ ˚✰˚ ˛★* 。 ღ˛° 。* °♥ ˚ • ★ *˚ .ღ 。

    https://www.youtube.com/watch?v=x7Ah7-Nj_J0

    .♥/(,”).(“.)♥★
    ..★/♥♥/█♥★
    .♥_| |--| |_ 007♥

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    1. > http://lartdubonheuralicien.blogspot.fr/2012/03/la-fourmi-amoureuse-conte-soufi.html ;-) Mars 2012... Déjà 5 ans...

      Hahaha, il m'amuse, ce Max Raabe ! Il reste si impassible, comme détaché de ce qu'il chante... lol
      Eh bien, on en faisait de superbes déclarations d'amour en 1910 !!! Déjà plus d'un siècle...

      Merci pour les beaux petits dessins ! :-))

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  2. Ya, ich liebe auch ! ...il m'amuse par son style et son détachement ...très attachant lol !!!

    Allez hop Alice ! on remet çà alors, weil die nacht ist nicht allein zum Schlafen ;-)

    https://www.youtube.com/watch?v=34OKMvvcTF0

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    1. Hahaha ! La chanson est de 1938, quelle drôle d'époque ! Pour en savoir plus, cliquer > ici :-)
      Gute Nacht, lieber 007 !

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