Il y a dans notre enclos un
petit bois planté de charmilles, d'érables, de frênes, de tilleuls et de lilas.
Ma mère choisit un endroit où une allée tournante conduit à une sorte
d'impasse. Elle pratiqua, avec l'aide d'Hippolyte, de ma bonne, d'Ursule et de
moi, un petit sentier dans le fourré, qui était alors fort épais. Ce sentier
fut bordé de violettes, de primevères et de pervenches qui depuis ce temps-là
ont tellement prospéré, qu'elles ont envahi presque tout le bois. L'impasse
devint donc un petit nid où un banc fut établi sous les lilas et les aubépines,
et l'on allait étudier et répéter là ses leçons pendant le beau temps. Ma mère
y portait son ouvrage, et nous y portions nos jeux, surtout nos pierres et nos
briques pour construire des maisons, et nous donnions à ces édifices, Ursule et
moi, des noms pompeux. C'était le château de la fée, c'était le palais de la
Belle au bois dormant, etc. Voyant que nous ne venions pas à bout de réaliser
nos rêves dans ces constructions grossières, ma mère quitta un jour son ouvrage
et se mit de la partie. "Ôtez-moi, nous dit-elle, vos vilaines pierres à chaux
et vos briques cassées. Allez me chercher des pierres bien couvertes de mousse,
des cailloux roses, verts, des coquillages, et que tout cela soit joli, ou bien
je ne m'en mêle pas."
Voilà notre imagination
allumée. Il s'agit de ne rien rapporter qui ne soit joli, et nous nous mettons
à la recherche de ces trésors que jusque-là nous avions foulés aux pieds sans
les connaître. Que de discussions avec Ursule pour savoir si cette mousse est assez
veloutée, si ces pierres ont une forme heureuse, si ces cailloux sont assez
brillants! D'abord tout nous avait paru bon, mais bientôt la comparaison
s'établit, les différences nous frappèrent, et peu à peu rien ne nous
paraissait plus digne de notre construction nouvelle. Il fallut que la bonne
nous conduisît à la rivière pour y trouver les beaux cailloux d'émeraude, de
lapis et de corail qui brillent sous les eaux basses et courantes. Mais, à
mesure qu'ils sèchent hors de leur lit, ils perdent leurs vives couleurs, et
c'était une déception nouvelle. Nous les replongions cent fois dans l'eau pour
en ranimer l'éclat. Il y a dans nos terrains des quartz superbes, et une
quantité d'ammonites et de pétrifications antédiluviennes d'une grande beauté
et d'une grande variété. Nous n'avions jamais fait attention à tout cela, et le
moindre objet nous devenait une surprise, une découverte et une conquête.
(George Sand, Histoire de ma vie)
C'est fou d'avoir eu une telle grand-mère comme modèle ! ;-)
RépondreSupprimerMerci de ce beau commentaire, James. A publier ! :-)) Je vais bientôt devoir embaucher une secrétaire pour gérer tout ça ! lol
Cela donne envie de relire George Sand !
RépondreSupprimerOui mais... aurions-nous le temps ???! ;-)
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