Le petit monde d'Alice

mardi 26 août 2014

Publié par Alice - 0 commentaire

J’aime les compliments. En recevoir comme en donner. La vie est trop courte pour ne pas profiter de chaque occasion de se faire plaisir les uns les autres. Pourtant, nous sommes si maladroits, surtout lorsqu’il s’agit d’en recevoir. Si je lui dis que j’aime sa robe, Marie me répond avec une fausse humilité : « C’est juste une petite robe Monoprix… » et elle m’éloigne d’elle. Prétentieuse – ou peut-être est-elle gênée et ne sait pas quoi dire –, Anne me dit : « Oui, c’est une Sonia Rykiel. » Sur elle aussi, mes mots ont glissé. Isabelle, enfin, reste intouchable derrière son ironie : « Toi aussi tu aimerais bien porter des petites robes comme ça, hein ! »

Heureusement, il est des êtres qui savent recevoir, et qui m’ont appris à recevoir aussi. Un compliment, cela devrait toujours être une petite fête que nous célébrons ensemble. Mais pour célébrer, il faut révéler quelque chose de soi, c’est-à-dire se rendre vulnérable. Comme je me sens proche d’une personne qui me parle d’elle ! Si je la complimente pour son jardin, elle me répond : « Je suis contente parce que je me suis donné du mal et je l’aime beaucoup. Ça me fait plaisir que tu y sois sensible aussi. »

Quand je parle de ce qui me fait plaisir, et que l’autre me confie ce qu’il ressent, nos cerveaux émotionnels se touchent. Toutes les études sur la communication le suggèrent : pour qu’il y ait une vraie satisfaction dans l’échange, il faut que les émotions passent. Tant que nous sommes dans l’émotion, nous sommes dans le vrai. Telle une caisse de résonance l’un pour l’autre, nous avons permis à une émotion de flotter un instant entre nous. Comme une phrase de musique peut flotter avec bonheur entre deux guitares qui se répondent.

J’ai tant de fois entendu les regrets de ceux qui n’ont pas su jouer de cette musique. Ils me disent : « Mon père est mort et je ne lui ai jamais dit combien il avait été important pour moi », ou « Mon mari ne me dit jamais qu’il apprécie ce que je fais pour lui. » On apprend vite à taire ses compliments quand ils sont mal reçus.

J’ai eu la chance d’avoir un grand maître, même s’il ne m’a donné cette leçon qu’une seule fois : ma grand-mère. Stoïque, elle parlait peu d’elle-même. Mais elle a été une présence constante dans tous les passages de l’enfance qui m’ont paru difficiles. Alors que je n’étais encore qu’un jeune adulte, je lui rendis visite sur ce que nous savions tous les deux être son lit de mort. Inspiré par sa beauté et son calme dans sa belle chemise de nuit blanche, je lui tenais les mains en lui disant combien elle avait compté pour l’enfant qui avait maintenant grandi. Bien sûr, je pleurais, ne sachant que faire de mes larmes. Elle prit une de ces larmes sur son doigt et me la montra en souriant doucement : « Tu sais, pour moi, tes mots et tes larmes, ce sont des perles d’or… » Ce fut notre dernière célébration.

(David Servan-Schreiber pour Psychologies Magazine)

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