L'Obstinée, Henri de Régnier, 1936
Ce fut un être charmant, singulier et terrible, et nulle femme ne me fit souffrir plus cruellement avec un art plus raffiné et plus minutieux, et cependant aucune n'eut un plus doux et un plus pur visage que cette délicieuse créature aux gestes harmonieux, à la voix tendre, qui semblait faite pour répandre autour d'elle le bonheur et la paix.
Néanmoins, ce ne fut ni le calme ni la joie qu'elle apporta dans ma vie. Lorsque je la rencontrai, je n'en étais pas à ma première expérience d'amour. J'avais connu ce que l'on appelle les orages du coeur et les feux de la passion ou, du moins je croyais les connaître assez pour m'en garer désormais. Sans être las de l'amour, j'en souhaitais plutôt les plénitudes que les excès, les douceurs apaisantes que les torturantes ardeurs ; aussi quand le hasard me mit en présence de Germaine (donnons-lui ce nom si vous voulez), il me sembla que j'allais réaliser mon vœu secret et qu'une vie nouvelle s'offrait à moi avec les promesses de tous ses enchantements.
Celle que je menais alors se prêtait bien à la magnifique transformation que je lui entrevoyais. Je jouissais d'une complète liberté de cœur et de situation. Orphelin de bonne heure, mes parents m'avaient laissé, avec une assez belle fortune, cet hôtel que j'habite encore aujourd'hui. Mon père, homme de solitude, l'avait choisi dans ce quartier plus tranquille autrefois qu'il ne l'est à présent, et ma mère, femme de goût, l'avait meublé des belles vieilles choses qui l'ornent encore maintenant. Tableaux, tapisseries, bibelots, je n'ai touché à rien. Tout y est demeuré dans le même état. Je pourrais m'y croire aux jours de ma jeunesse et au milieu de ma vie, si les chères et vivantes figures du foyer n'y étaient devenues les ombres mélancoliques du souvenir et les poignants fantômes du passé...
Ce fut sur la fin d'une belle journée d'été que Germaine pénétra pour la première fois dans ce salon où nous sommes. La lumière était pareille à celle qui nous vient par ces hautes fenêtres et il faisait ce même silence. Germaine daigna trouver bon air à mon logis. Elle en apprécia certains meubles et certains tableaux anciens. Elle portait une robe claire et un chapeau charmant. Elle était délicieusement belle et avec elle je crus voir entrer le bonheur. Je le lui dis. Elle m'écouta en se souriant dans le petit miroir à main qui est là, posé sur cette table ; puis elle le replaça où elle l'avait pris, et longuement, tendrement, nos lèvres s'unirent en un baiser.
Que de fois, depuis lors, Germaine ne franchit-elle pas cette porte ? Que de fois son pas léger ne foula-t-il pas ce tapis ? Que de fois nos lèvres avides ne s'unirent-elles pas ? Je l'aimais d'une tendresse passionnée, d'une ardente adoration, et elle m'aimait aussi, mais il y avait dans son amour une sorte d'appréhension maladive du temps où je ne l'aimerais plus. Ni mes serments, ni mes promesses, ni le pouvoir qu'elle exerçait sur mon coeur ne pouvaient la convaincre que ne viendrait pas un jour où je la quitterais, où je m'éloignerais d'elle, où je cesserais de l'aimer, où je l'oublierais. Et cette pensée, que rien ne pouvait dissiper, la torturait jusqu'à la terreur.
Etre oubliée ! Cette idée révoltait son orgueil. L'oubli ! Ne plus être toute la vie, toutes les heures, toutes les minutes, ne plus être la présence vivante, ne plus être le visage nécessaire, la voix essentielle, diminuer peu à peu dans la mémoire, disparaître du souvenir, s'effacer, s'anéantir, l'oubli ! Et comment être l'inoubliable ? Est-ce que les baisers et les caresses ne s'oublient pas ? Est-ce par le bonheur qu'il a donné qu'un être s'impose pour jamais à un autre être, par sa tendresse, par sa beauté ? Que reste-t-il des heures d'ivresse, des dons de la chair et du cœur ? L'oubli n'étend-il pas sur tout cela sa cendre impalpable et mortelle ? Seule la souffrance est plus forte que lui et creuse dans les âmes des profondeurs douloureuses où il n'atteint pas et dont il respecte l'incurable irritation.
(Suite demain soir ...)
CHANCE
RépondreSupprimerEt pourtant, nous pouvions ne jamais nous connaître !
Mon amour, imaginez-vous
tout ce que le Sort dû permettre
pour que l'on soit là, qu'on s'aime, et pour que ce soit nous ?
Tu dis : "Nous étions nés l'un pour l'autre." Mais pense
à ce qu'il a dû falloir de chances, de concours,
de causes, de coïncidences,
pour réaliser ça, simplement, notre amour !
Songe qu'avant d'unir nos têtes vagabondes,
nous avons vécu seuls, séparés, égarés,
et que c'est long, le temps, et que c'est grand, le monde,
et que nous aurions pu ne pas nous rencontrer.
As-tu jamais pensé, ma jolie aventure,
aux dangers que courut notre pauvre bonheur
quand l'un vers l'autre, au fond de l'infinie nature,
mystérieusement gravitaient nos deux coeurs ?
Sais-tu que cette course était bien incertaine
qui vers un soir nous conduisait,
et qu'un caprice, une migraine,
pouvaient nous écarter l'un de l'autre à jamais?
Je ne t'ai jamais dit cette chose inouïe :
lorsque je t'aperçus pour la première fois,
je ne vis pas d'abord que tu étais jolie.
Je pris à peine garde à toi.
Ton amie m'occupait bien plus, avec son rire.
C'est tard, très tard, que nos regards se sont croisés.
Songe, nous aurions pu ne pas savoir y lire,
et toi ne pas comprendre, et moi ne pas oser.
Où serions-nous ce soir si, ce soir-là, ta mère
t'avait reprise un peu plus tôt ?
Et si tu n'avais pas rougi, sous les lumières,
quand je voulus t'aider à mettre ton manteau ?
Car souviens-toi, ce furent là toutes les causes.
Un retard, un empêchement,
et rien n'aurait été du cher enivrement,
de l'exquise métamorphose !
Notre amour aurait pu ne jamais advenir !
Tu pourrais aujourd'hui n'être pas dans ma vie !...
Mon petit coeur, mon coeur, ma petite chérie,
je pense à cette maladie
dont vous avez failli mourir... Paul Géraldy
C'est ... mignon !
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