Le petit monde d'Alice

mardi 20 novembre 2012

Publié par Alice - 5 commentaires

Vous savez ce que peut souffrir d'une femme un homme qui aime passionné­ment, et quelle supériorité elles ont sur nous au terrible jeu d'y réveiller les instincts les plus secrets et les sensi­bilités les plus cachées. Notre amour a besoin de foi et de certitude : il a ses susceptibilités, ses exigences et ses vanités. Il est facile à inquiéter, à troubler, à blesser, à affoler. Ah ! qu'il est aisé à une femme de torturer celui qui l'aime, de créer en lui le doute, l'anxiété, la jalousie, les colères, le désespoir et la détresse, toutes les souffrances, et de le conduire ainsi jusqu'à un point de lui-même où il tournoie en une sorte de panique aveugle. Ah ! le beau jeu, et avec quel art raffiné et savant, précis et nuancé, s'y livra cette ambitieuse, qui vou­lait ainsi s'assurer dans son orgueil contre les forces destructives de l'oubli ! Et quand elle crut avoir achevé son œuvre, elle y ajouta la terrible surprise de disparaître soudain, sans un adieu, sans un regard, sûre d'avoir laissé derrière elle l'ineffaça­ble image de sa cruelle et mortelle beauté.

Que vous dirais-je ? Cette image, j'ai lutté contre elle pendant des mois et des années ; j'ai voyagé, j'ai travaillé, j'ai cru aimer d'autres femmes. J'ai employé tous les moyens pour la chasser de mon souvenir, pour m'en affranchir, pour m'en délivrer. Vingt fois j'ai cru que je succomberais et que je retour­nerais à mon supplice, mais je savais bien que Germaine serait inexorable et que l'abandon où elle m'avait laissé faisait partie de son impitoyable volonté de m'asservir à jamais à elle par la souf­france. C'était de moi seul que je devais attendre ma guérison et mon salut, et cette guérison, ce salut, ils n'étaient que dans l'oubli, dans cet oubli dont cette femme avait voulu si cruellement et si orgueilleusement m'interdire le recours et le bienfait.


Ce furent d'atroces années jusqu'au jour où, tout à coup, une sorte de voile s'interposa entre moi et ce douloureux passé. Soudain, il me sembla entrer dans un grand silence, dans un grand vide, dans un grand calme ; mes yeux se fer­mèrent sur ce qu'avait été ma vie et se rouvrirent peu à peu à une vie nouvelle. Je repris goût à l'existence. De nouveau, je goûtai le charme des fleurs, la beauté des visages, l'agrément et la joie des choses. Germaine était plus morte dans mon souvenir que si elle avait été couchée au tombeau. Elle était tombée dans cet oubli qu'elle redoutait tant. J'étais presque heureux et je le serais encore si...

Tenez, vous voyez ce miroir qui est là, sur cette table, près de cette lettre. C'est celui où Germaine aimait à se regarder en souriant, quand elle avait suscité en moi une de ces souffrances dont elle suivait sur mon visage ravagé les traces douloureuses et c'est un de ces visages, un de mes visages d'autre­fois que j'y ai revu lorsque, par hasard, j'ai levé à la hauteur du mien cette glace magique et terrible.

Alors j'ai senti que ce voile d'oubli dont je vous parlais tout à l'heure venait de se déchirer et que l'impitoyable torture que j'avais soufferte jadis allait renaître des cendres du passé.

Oui, maintenant, quand j'évoquerai, du fond de ma douleur, l'image de celle qui ne voulut pas être oubliée, ce ne sera pas une vivante qui m'apparaîtra, mais son fantôme acharné. Cette lettre, qui est là, m'apprend que Germaine de S... est morte hier, à l'heure même où je retrouvais dans ce miroir l'éternel torturé qu'elle a voulu que je fusse et qu'au delà de la mort elle asservit encore à son souvenir.

http://img15.hostingpics.net/pics/881749henriregnier.jpg

5 commentaires :

  1. Quel romantisme exacerbé ! Crois-tu qu'à notre époque un homme peut encore souffrir à ce point et si longtemps pour ce genre de femme fatale ? "La mélancolie c'est le bonheur d'être malheureux" disait Victor Hugo...  

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  2. J'aime aussi ses poésies, j'ai lu un ou deux livres de lui, trouvé dans mon grenier............En France, on a tendance à oublier certains grands écrivains et en privilégier d'autres,mais il faut bien faire des choix aussi, nous sommes prolifiques!..dommage quand même!...........

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  3. Un peu de ce que je vis ... spiriruellment ... mais tel un phenix, je renais ... plus de drame et de tragique à cette douleur ... la vie m'apparait telle que je suis contente de ce que l'existence entretient de bienfaits autours de moi ... Bonjour chère Alice et belle journée ... ou nuit  

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  4. faut pouvoir perdre autant de temps

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