La fenêtre était ouverte. Sur le fond bleu du ciel, le bouquet de tulipes dans la lumière de l'été la faisait songer à Matisse qu'une mort prématurée venait d'emporter à quatre-vingts ans, et même les pétales jaunes tombés autour du vase semblaient avoir obéi au pinceau du maître. Lady L. trouvait que la nature commençait à s'essouffler. Les grands peintres lui avaient tout pris, Turner avait volé la lumière, Boudin l'air et le ciel, Monet la terre et l'eau ; l'Italie, Paris, la Grèce, à force de traîner sur tous les murs, n'étaient plus que des clichés, ce qui n'a pas été peint a été photographié et la terre entière prenait de plus en plus cet air usé des filles que trop de mains ont déshabillées. Ou peut-être avait-elle vécu trop longtemps. L'Angleterre célébrait aujourd'hui son quatre-vingtième anniversaire et le guéridon était couvert de télégrammes et de messages dont plusieurs venaient du Palais de Buckingham : chaque année, c'était la même chose, tout le monde venait lourdement vous mettre les points sur les i. Elle regarda avec réprobation les tulipes jaunes, se demandant comment les fleurs avaient pu arriver jusqu'à son vase favori. Lady L. avait horreur du jaune. C'était la couleur de la traîtrise, du soupçon, la couleur des guêpes, des épidémies, du vieillissement. Elle fixa les tulipes sévèrement et un doute rapide l'effleura ... Mais non, ce n'était pas possible. Personne ne savait. Une négligence du jardinier.
Evhe, Les tulipes jaunes, son blog de peinture > ici
Tu m'as bien fait rire avec ton image de pingouins déposée en comm sur mon billet des manchots :-)))
RépondreSupprimerQue c'est bien écrit ! Et vraiment on a envie de lire cette histoire en entier ! Je cours voir le blog des tulipes jaunes !
RépondreSupprimerJ'ai toujours bien aimé les oeuvres de Romain Gary ...
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